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Il n’y a pas seulement au Pérou trois races en présence, il y a trois classes de citoyens entre lesquelles existe une sourde opposition. Si les dénominations d’aristocratie, de classe moyenne et de classe ouvrière pouvaient s’appliquer aux portions encore flottantes d’une société mal assise, on pourrait les appliquer aux trois races espagnole, métisse et indienne. Les Espagnols formeraient l’aristocratie ; les métis, la bourgeoisie ; les Indiens, la masse du peuple. Avant l’émancipation, le niveau commun d’un pouvoir despotique pesait sur toutes les classes de la société péruvienne ; l’émancipation, en supprimant ce niveau, a créé entre les diverses classes un état de lutte ou plutôt d’antagonisme. C’est à opérer la fusion ou au moins l’alliance des classes que doivent tendre tous les efforts du gouvernement péruvien ; seulement, pour travailler à cette grande œuvre avec intelligence, avec efficacité, on doit bien se demander quels sont les tendances, les, instincts, les souvenirs qui divisent les Espagnols, les métis et les Indiens. Sans des notions précises sur l’esprit de ces trois groupes principaux de la population péruvienne, on ne découvrira jamais le terrain commun où ils pourraient s’unir.

L’homme de sang espagnol a un souverain mépris pour les métis comme pour les Indiens. L’infériorité numérique des familles blanches, l’état de torpeur intellectuelle ou elles s’endorment trop souvent, ne justifient guère cependant leurs prétentions aristocratiques. Presque tous ruinés par la révolution ou privés, par le manque de bras, du revenu de leurs immenses terres, les grands propriétaires espagnols ne parviennent à maintenir leur position et leur rang qu’en s’imposant les plus pénibles privations, en vendant pièce à pièce les bijoux et la précieuse argenterie de leurs ancêtres. La position des possesseurs de la terre ne pourrait changer que si le sol du Pérou était exploité par une population laborieuse. En attendant que cette population se forme, la suppression des majorats et le principe d’égalité introduit dans les successions ne feront qu’aggraver la position déjà si pénible des familles aristocratiques. L’intérêt bien entendu de ces familles nous amène à une conclusion que l’état des classes moyennes et laborieuses du Pérou nous forcera encore de poser : la nécessité pour ce pays d’une forte émigration européenne, s’il ne veut prêter le flanc tôt ou tard à une invasion anglo-saxonne. C’est là le terrain commun sur lequel peuvent se rencontrer dès ce moment les classes dont la division funeste entretient le Pérou dans un état de crise permanent. On se convaincra aisément, en effet, que, vis-à-vis de l’émigration européenne, t’intérêt des métis et des Indiens est le même que celui des Espagnols.

C’est au profit de la race métisse que s’est accomplie la révolution péruvienne, c’est dans cette race que se conserve avec le plus d’énergie cette tendance qui porte le nom significatif d’américanisme, et qui, est