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l’ancienne ville indienne, pour y observer comme à leur source les mœurs des populations de la montagne. De Vilque au Cusco, la route est peu accidentée. Le voyageur arrive d’abord à Puno, capitale du département de ce nom, sur les bords mêmes du lac de Titicaca. C’est une ville de sept à huit mille ames, triste et pauvre aujourd’hui malgré sa fameuse mine el Manto, dont les produits, si merveilleux autrefois, suffisent à peine aujourd’hui à couvrir les frais d’exploitation. J’y fus témoin d’une étrange et triste cérémonie. Devant la porte ouverte d’une maison, plusieurs personnes étaient arrêtées. Au fond d’une chambre, sur une espèce d’autel tout entouré de cierges, une petite fille de deux ou trois ans, assise sur un large fauteuil, semblait doucement endormie. Des chants joyeux s’élevaient autour d’elle. Deux Indiens, l’un portant une harpe, l’autre en raclant les cordes, s’avançaient en tête d’une procession d’enfans qui semblaient accourir à une fête. On enleva bientôt la petite fille, toujours assise dans son fauteuil.,et le cortège se mit en marche fort gaiement aux sons d’une musique vive et bruyante. C’était pourtant au cimetière qu’on se rendait, et la petite fille, parée comme pour un bal, n’était qu’un cadavre. La mort d’un enfant est une fête pour les Indiens de la sierra. N’y a-t-il pas quelque chose de fondé dans cette bizarre coutume, souvenir éloquent de la croyance chrétienne qui promet la félicité éternelle aux jeunes victimes d’une mort prématurée, et n’est-ce pas encore ici le cas de reconnaître que l’instinct populaire a quelquefois sa philosophie ?

De Puno au Cusco, la route se dirige vers le nord. Le lac de Titicaca s’étend à droite, bordé à l’horizon par les montagnes de la Bolivie. La distance entre les deux villes est d’une centaine de lieues. Le pays est triste, nu, monotone. De nombreux troupeaux de brebis, de llamas, d’alpacas, paissent aux bords du chemin. Quelques huttes s’élèvent çà et là. On traverse la petite ville de Lampa, dont la population ne dépasse point quatre ou cinq mille habitans, presque tous Indiens ; Pucara, simple pueblo où se tient une foire considérable quelques semaines après celle de Vilque ; Santa-Rosa, qui s’élève au pied de cimes couvertes de neiges éternelles. Quelques lieues plus loin, un bras de montagnes, en s’avançant, ferme le plateau du Collao et sépare les deux départemens de Puno et du Cusco : il porte le nom de la Raya. Au sommet du plateau, deux sources, peu éloignées l’une de l’autre, donnent naissance à deux rivières coulant sur des versans opposés : la première traverse le bourg même de Santa-Rosa ; l’autre, après avoir reçu le petit ruisseau qui passe au Cusco, va se perdre dans l’Apurimac. L’industrie de tous ces pays est à peu près nulle : elle se borne à la fabrication de vases en terre, de draps épais, dits bayetones, dont se couvrent les Indiens, mais surtout à l’élève des troupeaux et au transport à dos de llama du quinquina que l’on retire