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aussitôt. À Vilque, j’étais logé chez un des principaux habitans que j’avais connu précédemment à Aréquipa. Au milieu d’un repas entrèrent deux serranos (habitans de la sierra). Le maître de la maison était absent ; sa femme seule était à table avec nous. « Señora, lui dirent-ils, nous sommes en relation d’affaires depuis long-temps avec votre mari. Nous devons passer plusieurs jours à la foire ; nous avons pris la liberté de descendre chez vous. — C’est bien, répondit-elle simplement. Asseyez-vous ; vous arrivez encore à temps pour dîner. » On ajouta deux couverts à la table, et la maison, déjà remplie, compta deux hôtes de plus, sans que personne s’en inquiétât davantage.

Il est vrai que, si rien n’est plus franc, rien aussi n’est plus simple que l’hospitalité de la sierra. Chaque voyageur porte son lit avec lui. Le soir il l’étend, comme il peut, dans la pièce qui lui paraît le moins encombrée ; chacun se presse pour faire place au nouveau venu dans la chambrée commune. Tout le monde dort du sommeil que procure toujours une bonne journée de fatigue. Le lendemain matin, tous les matelas sont roulés, serrés, entassés dans un coin ; l’appartement redevient libre pour les visites que l’on peut recevoir, les affaires que l’on peut avoir à traiter. Le plus souvent chacun sort pour courir la foire et ne rentre qu’à l’heure des repas. À vrai dire, c’est là seulement que les hôtes d’une même maison peuvent se voir et se connaître. Le déjeuner, servi à neuf heures, se compose régulièrement d’un bouillon mêlé de viande, d’un plat d’oeufs ou de poisson, de fromage blanc, fait dans la sierra par les Indiens et d’une tasse de chocolat. Le dîner, à deux ou trois heures, est plus substantiel encore : ce sont d’abord des chupes de plusieurs sortes, au mouton, au poulet, au poisson, servis dans d’immenses plats creux, dont la dimension, partout ailleurs effrayante, peut défier sans crainte le nombre et le robuste appétit des convives. Les rôtis (asados) et les fritures viennent ensuite, le tout assaisonné de petits morceaux de fromage posés dans des soucoupes à tous les coins de la table, et que l’on mange pour aiguiser l’appétit. Au dessert, on apporte des dulces, sorte de confitures préparées à Lima et à Aréquipa, et que les Péruviens aiment beaucoup. Enfin le soir, de huit à dix heures, on prend le thé, mode anglaise qui commence à s’introduire jusque dans l’intérieur du Pérou. Chacun ensuite se disperse de nouveau. Quelques-uns vont chez les notables de Vilque, chez l’alcade ou chez tout autre haut personnage fumer le cigare ou danser la zambacueca ; d’autres, en plus grand nombre, se rendent, enveloppés de leurs manteaux, dans quelques ranchos retirés, où des amis, prévenus à l’avance, les attendent pour quelque grande partie de monte. Le monte est le jeu de hasard le plus commun au Pérou. On le joue avec des cartes, ou le plus souvent avec des dés. Dans ce dernier cas, devant un large tapis vert divisé, en quatre compartimens par deux lignes qui, au milieu, se coupent à angles