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l’indépendance ? C’est en vain qu’on cherche dans les plus grandes, villes du Pérou quelque trace d’animation intellectuelle, quelques symptômes de cette transformation morale que la transformation politique du pays semblait annoncer. Je me trompe, il y a des jours où la vie politique se manifeste dans les rues : de Lima ou d’Aréquipa : ce sont les jours de pronunciamiento, d’émeute militaire ; mais dans ces intrigues, dans ces conspirations si peu sérieuses, on ne saurait guère voir encore qu’un prétexte à satisfaire le goût des Péruviens pour les spectacles de la rue. Au fond, c’est une société aimable et frivole qui se révèle jusque dans les guerres civiles dont le Pérou est trop souvent le théâtre. À côté de cette population plus espagnole qu’indienne des villes de la côte, y a-t-il plus d’élémens d’avenir dans la population indienne ou métisse de l’intérieur ? C’est une question à laquelle un voyage dans les Cordilières peut seul répondre, et mes propres souvenirs m’aideront peut-être à la résoudre.


II

L’Européen qui se décide à visiter la partie montagneuse du Pérou doit s’attendre à toute sorte de fatigues et de privations. Dans les pays à peu près déserts que l’on traverse, où quelques huttes indiennes se montrent seules çà et là éparses sur les montagnes, c’est à peine souvent si, après une journée tout entière passée à cheval, on rencontre une mauvaise maison de poste (posta) où l’on puisse passer la nuit. Or, qu’on se figure de misérables cabanes couvertes en paille, n’ayant pour toute ouverture qu’une porte à demi fermée par une peau de bœuf tendue sur un grossier cadre en bois ; à l’intérieur, tout autour de la chambre unique où s’entassent à la fois muletiers et voyageurs, une sorte de banc en terre, haut de quelques centimètres, qui sert de lit ; quelquefois, au centre, un autre banc, en terre également, mais plus élevé : c’est la table commune où chacun dépose les provisions qu’il a apportées ou se fait servir le chupe, si toutefois la viande séchée et les pommes de terre, uniques ingrédiens de ce mets péruvien, se trouvent à la posta. Dans les montagnes, autour de la cabane, errent cinq ou six mauvais petits chevaux maigres, éreintés, le dos couvert de larges plaies, que les Indiens louent à raison d’un réal (62 centimes) par lieue, plus un medio (demi-réal) pour le postillon qui vous suit à pied, ou plutôt vous devance toujours, et qui doit ramener le cheval quand vous êtes arrivé à la posta voisine.

Voilà les ressources qu’offre l’intérieur du Pérou aux voyageurs ; aussi faut-il non-seulement avoir ses chevaux à soi, mais encore tout emporter pour la route ; son lit d’abord, si on ne veut pas dormir sur le sol nu, son pain, son vin, jusqu’à la bougie qui doit vous éclairer