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et, le poncho rejeté négligemment sur l’épaule, il vient choisir galamment celle avec laquelle il désire danser. C’est d’ordinaire quelque jolie samba, aux grands yeux noirs et ardens, à la taille svelte et souple, aux dents blanches et aux longs cheveux qui flottent en deux tresses égales sur ses épaules. Debout l’un vis-à-vis de l’autre, la main gauche fièrement appuyée sur la hanche, ils attendent que la musique leur donne enfin le signal. Aux premières vibrations de la guitare, aux premiers éclats de la voix stridente des musiciens, ils partent tous les deux le corps légèrement penché et agitant gracieusement leurs mouchoirs dans la main droite. Ce sont d’abord des passes lentes et peu animées encore, où le danseur, d’un air timide et suppliant, semble poursuivre sa danseuse, qui le regarde dédaigneusement et fuit comme une sylphide en tournoyant autour de lui. Celui-ci, sans se rebuter. s’attache à ses pas, la poursuit dans toutes les courbes que la danse lui fait décrire en l’évitant ; à chaque évolution, il se retrouve face à face avec elle ; à chaque mouvement, il se rapproche un peu plus. Le mouchoir, dans sa main, semble parler un langage mystérieux. Bientôt il l’agite à coups plus secs et plus répétés ; celui de sa danseuse se déploie à son tour et parait répondre à son appel. L’orchestre lui-même, comme s’il prenait part à la lutte, s’anime et lance des accords plus éclatans, sur un rhythme plus vif et plus fougueux. Les yeux ardens, le front perlé de sueur, le haut du corps courbé sur sa guitare, le musicien suspend par moment son chant insignifiant et monotone pour pousser une sorte de cri sauvage d’excitation et de délire. Les spectateurs, battant la mesure à coups redoublés dans la paume de leurs mains, se joignent à lui dans un indicible concert. C’est en vain que, résistant encore, cambrant sa taille, la tête rejetée en arrière, la femme dans un dernier élan, essaie de s’enfuir en tournoyant sur elle-même. Inutiles efforts ! son danseur est là qui l’attend, qui la presse… Épuisée, haletante, elle cède enfin, elle s’avoue vaincue dans la lutte, et sa main, en laissant retomber son mouchoir, aux frénétiques applaudissemens de la foule, semble constater sa défaite et proclamer le triomphe du vainqueur.

La zambacueca est encore dansée très souvent au Pérou, c’est même la seule danse connue dans un grand nombre de salons d’Aréquipa, du Cusco et des villes de l’intérieur. Modifiée par les convenances, elle est devenue là une sorte de pantomime noble, légère, rapide, qui prête beaucoup à la grace du corps et à la flexibilité des mouvemens. Telle n’est pas la zambacueca qu’on danse à los Amancaës, le soir surtout, quand la bouteille d’eau-de-vie a fréquemment circulé, et que toutes les têtes sont échauffées par le mouvement et par le bruit, par la chicha et par le pisco. Rien n’est plus curieux dans sa liberté, dans sa fougue bruyante, que cette zambacueca populaire. La fête touche