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tracer avec fermeté les contours d’un caractère ou dessiner avec précision les principaux traits d’une situation politique.

Leicester n’est pas présenté par Mlle Toussaint sous un jour aussi brillant que par Walter Scott. Il n’est pas là dans son splendide château de Kenilworth, recevant sa souveraine au sein de cette demeure qui a laissé à l’Angleterre sa plus gigantesque ruine féodale. Il apparaît plus soucieux, plus sombre, au milieu d’un peuple étranger, entouré d’ennemis, luttant contre des difficultés infinies et des périls toujours renaissans, poursuivi par les ombrages et les rancunes d’Élisabeth, qui ne lui a pas pardonné son mariage ; non, comme à Kenilworth, engagé dans les complications d’une situation romanesque, mais plongé dans tous les embarras d’une situation politique ; plus ressemblant à cet homme au visage triste, aux traits lourds et sans grace que représentent ses médailles et ses portraits, entre autres celui que l’on voit au château de Warwick. Mlle Toussaint nous montre cet homme, qui était célèbre par le désordre de ses mœurs, qui avait fait assassiner sa première femme et empoisonner le mari de celle qu’il devait épouser ensuite, courtisant les sévères prédicans de la Hollande et flattant ces pédans qu’il méprise : triste personnage que ce Leicester ambitieux, ardent et timide, qui, frémissant sous le joug de la faveur impérieuse d’Élisabeth, tour à tour l’irritait par des saillies d’indépendance et la désarmait par des bassesses.

À l’ambitieux Leicester est opposé le patriote Barneveld dans ce remarquable portrait : « Barneveld était uniquement homme d’état, par la tête, par le cœur, par l’ame, par tout son être. Barneveld avait un seul but, et ne s’en laissait détourner par rien ; rien de ce qui pouvait lui faire obstacle n’était médiocre à ses yeux. Avec une patience souple, il attendit le moment de marcher vers ce but ; avec une persévérance inflexible, il s’en approcha lentement, et le saisit enfin d’une main ferme. Par là il fut possible à Barneveld de l’emporter sur Reingoud… Les lueurs de l’esprit de celui-ci étaient comme ces rayons étincelans qui mettent vivement en relief le point qu’ils éclairent, mais qui ne répandent pas une lumière complète sur un objet. Or, qui garantira mieux un cavalier des périls d’une route pleine de fondrières et hérissée d’obstacles, le pétillement d’une lumière vive, mais intermittente comme celle de l’éclair, ou la clarté pâle, mais égale, de la lune, qui brille pendant toute la nuit sur le chemin tout entier ? »

Mlle Toussaint s’est complètement transportée dans le temps qu’elle raconte ; elle connaît, elle reproduit dans tous leurs détails les sentimens politiques de la Hollande au XVIe siècle, non-seulement la haine du peuple néerlandais contre les Espagnols, mais les inimitiés particulières des villes l’antipathie d’Utrecht et d’Amsterdam, le mépris