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et insultés par des Turcs en présence d’une foule d’autres chrétiens, et ces derniers ne sauraient servir de témoins à l’offensé pour faire condamner les coupables.

Le second point de l’acte de Gulhané a-t-il été mieux atteint que le premier ? Il s’agissait de l’établissement d’un mode régulier de répartition et de perception des impôts. On promettait en outre l’abolition complète du système de l’iltizam ou de la concession des droits de perception. Ce que j’ai dit du régime financier turc montre assez que le système de l’iltizam est encore pratiqué ouvertement dans tout l’empire. Ici les promesses impériales sont en contradiction flagrante avec la réalité. Le système que le décret souverain a solennellement flétri comme la honte et le fléau de l’empire y domine en ce moment sous la sanction et avec la coopération la plus énergique de l’administration même.

Le décret de Gulhané promettait encore l’établissement d’un mode régulier pour la levée des soldats et la durée de leur service. Il faut reconnaître que de toutes les réformes proclamées à Gulhané celles relatives à la conscription et à la durée du service militaire ont été les moins illusoires. Le recrutement s’opère maintenant en Turquie avec infiniment plus de méthode et de régularité qu’autrefois, et l’existence ainsi que l’avenir du soldat y ont reçu de solides garanties ; mais, en limitant ses réformes militaires au recrutement et à la durée du service, le gouvernement turc a trop oublié la nouvelle mission que l’établissement d’une administration régulière devait imposer à l’armée ottomane. Cette mission est celle qui appartient dans tout pays civilisé à la force militaire chargée de veiller au noua de la société sur la sécurité des populations. L’armée turque n’est guère en état de remplir ce noble rôle. La réforme militaire, faute d’avoir été complète, laisse subsister en Turquie les anciens abus à côté des innovations récentes. Sous l’empire des anciennes institutions, le droit de défense et de protection de l’ordre intérieur appartenait à chaque membre de la société musulmane. Tout sujet turc avait le droit de porter des armes et de s’en servir dans l’intérêt de sa propre conservation. De leur côté, les pachas et leurs mandataires subalternes étaient investis du droit de sauvegarder leurs provinces par tous les moyens qu’ils jugeraient convenables, et, dans certaines régions de l’empire habitées par des tribus turbulentes ou pillardes, les puissans chefs des pachaliks ne maintenaient leur autorité que par l’application inflexible d’un véritable système de terreur, auquel le gouvernement central restait le plus souvent étranger. C’est ainsi que les célèbres feudataires connus sous le nom de Tchapan-Oglou et de Kara-OsmanOglou, qui, il n’y a pas plus d’une cinquantaine d’années, administraient