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d’un mode régulier pour la levée des soldats et la durée de leur service. »

Sécurité pour la vie et la propriété des sujets ottomans, meilleure répartition et meilleure perception de l’impôt, meilleure organisation de l’armée, c’étaient là de belles promesses : le triple but marqué si solennellement par le hatti-chérif de Gulhané a-t-il été atteint ? Commençons par le premier ordre de réformes, par celles qui devaient assurer des garanties nouvelles à la vie, à l’honneur et à la propriété des sujets du sultan. Il est vrai que le droit de vie et de mort n’est plus au nombre des attributions des pachas. À la suite de la promulgation du manifeste de Gulhané, ces fonctionnaires ont été dépouillés d’une prérogative aussi exorbitante, et ils ne peuvent plus infliger les peines capitales sans un ordre explicite du gouvernement central de Constantinople ; toutefois l’autorité des pachas est telle encore que, s’il leur plaît d’ôter la vie à un individu, ils ont mille moyens légaux d’atteindre leur but sans recourir à une exécution capitale. C’est ainsi que j’ai vu moi-même, dans plus d’un pachalik, des malheureux condamnés à des incarcérations qui terminaient promptement leur existence : en pareil cas, on a soin de sauver les formes et le principe des nouvelles institutions, et on annonce aux autorités de Constantinople que tel individu incarcéré provisoirement, en attendant la décision des hautes autorités de la capitale, est mort subitement dans sa prison. Les pachas ont un autre moyen non moins ingénieux d’éluder la loi nouvelle ; il y a des châtimens corporels qui, appliqués avec certains raffinemens, équivalent parfaitement à la peine capitale. Les nouvelles institutions fixent, il est vrai, le maximum des coups de verge que peut ordonner un juge ou un kadi, et on se garde bien de dépasser le chiffre légal ; seulement la dose tolérée par la loi est administrée à plusieurs reprises et à des intervalles plus ou moins courts, ce qui amène le résultat voulu sans que la loi ait été littéralement violée. Si les prescriptions légales destinées à garantir la vie des sujets ottomans sont ainsi respectées, que sera-ce des prescriptions relatives à l’honneur et à la propriété ? Ici, d’ailleurs, les nouvelles institutions se sont trouvées en présence de l’ancienne loi du Koran, devant laquelle il a fallu s’incliner. Cette loi condamne les sujets chrétiens à l’incapacité politique et sociale ; elle les prive du droit de faire valoir leur témoignage devant les tribunaux ; or, quelle garantie un sujet chrétien de la Porte a-t-il pour son honneur et sa propriété, lorsqu’à chaque instant ses concitoyens musulmans peuvent l’attaquer dans ses droits les plus sacrés, sans qu’il ait de réparation à espérer, à moins qu’un musulman lui-même ne condescende a lui servir de témoin contre des musulmans ? Ainsi aujourd’hui, comme du temps de Mahomet et d’Amurat, un Grec ou un Arménien peuvent être impunément maltraités