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tel est le chiffre qu’on peut adopter comme indiquant en moyenne le revenu annuel de la Turquie. C’est là un revenu bien exigu en apparence pour un si vaste et si magnifique pays ; mais les rouages vicieux de l’administration turque n’expliquent que trop bien cette disproportion étrange entre les ressources du pays et l’état de ses finances. L’organisation défectueuse du mode de perception, et notamment de la perception des recettes publiques, les diverses entraves qui paralysent le développement de l’industrie, l’ignorance et l’incapacité des agens chargés de l’exploitation des richesses industrielles du territoire ottoman, l’incertitude enfin qui plane sur le droit de propriété en Turquie, telles sont les causes principales de la mauvaise situation financière de l’empire.

Les branches les plus importantes du revenu public dans l’empire ottoman sont l’objet de concessions ou d’affermages faits au plus offrant. Ce système, surtout tel qu’il est appliqué en Turquie, où le gouvernement se borne à percevoir le prix de la concession sans exercer aucune surveillance sérieuse sur les opérations des concessionnaires, a pour conséquence de priver le fisc d’une bonne partie de la recette dont il aurait pu jouir, et de grever gratuitement le pays de charges inutiles et vexatoires, qui ne profitent qu’à un petit nombre de cupides spéculateurs, surtout lorsque ces derniers sont revêtus en même temps de fonctions publiques qui leur permettent d’appeler l’intimidation au secours de toutes leurs entreprises. Alors la situation des contribuables devient tout-à-fait pénible ; or, ce sont précisément les fonctionnaires publics, et nommément les gouverneurs des provinces, qui achètent le plus souvent le droit de percevoir, pour leur propre compte, les diverses contributions des provinces où ils exercent leur juridiction. La perception des droits sur le tabac dans le sandjak de Djanik, qui fait partie du pachalik de Trébisonde, me fournit, à ce propos, un exemple entre mille. Dans cette province, ainsi que dans presque toute l’Asie Mineure, le tabac est frappé d’un double impôt : l’un, prélevé sur la plante encore non récoltée, s’appelle yach gumruk, et consiste en 112 paras par chaque soixante-dix pieds carrés ; l’autre, perçu sur la feuille récoltée à raison de 6 piastres par batman, s’appelle kourou gumruk. Ces deux impôts sont affermés par le gouvernement au pacha de Trébisonde, qui à son tour les afferme à des particuliers, et, en comparant la somme que le pacha paie au gouvernement comme prix de la concession de ce droit avec la somme qu’il en retire lui-même, il se trouve que, déduction faite de tous les frais, il gagne sur le yack gumruk 37,500 à 40,600 francs, et sur le kourou gumruk 75,000 francs, ce qui porte le total de son bénéfice à environ 150,000 francs par an. Les habitans de la province de Djanik paient donc au pacha chaque année environ 150,000 francs en sus du