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par la voix des évêques, et elle devait, disait-on, se formuler d’une manière redoutable dans le sénat. On a même cru un instant à Turin que la loi y échouerait. Pour notre compte, nous n’avons pas partagé ces appréhensions. Le sénat piémontais a fait preuve depuis deux ans, en plusieurs occasions, d’un grand sens politique, et il était difficile qu’il ne comprit pas, en cette circonstance, le danger d’une opposition irréfléchie. Outre les argumens de principes qui allaient fort au goût des illustrations de la haute magistrature, en assez grand nombre au sénat, la masse de l’assemblée sentait parfaitement qu’au point de vue politique le rejet de la loi eût été une faute immense. En voulant donner satisfaction aux préjugés et aux exigences du parti rétrograde, le sénat eût créé à la couronne les embarras les plus sérieux. Le cabinet Azeglio, en effet, n’eût pas manqué de se retirer. Déjà, s’il faut en croire certains bruits, il n’aurait pas hésité à poser la question ministérielle, lorsqu’il a présenté le projet Siccardi à l’acceptation du roi, dont on était parvenu à inquiéter la conscience. M. d’Azeglio et ses collègues donnant leur démission, par qui les remplacer ? Évidemment par un ministère d’une nuance plus conservatrice ; mais ce ministère n’eût pas eu la majorité dans la chambre des députés. Nous voyons que l’extrême droite n’a pu y réunir que 26 voix contre la loi Siccardi. Aurait-on fait une nouvelle dissolution ? C’était le moyen de ramener la fameuse chambre démocratique. La chambre actuelle est assurément la plus modérée qu’il soit possible d’espérer. On se replaçait donc de gaieté de cœur dans la situation critique d’où le Piémont s’est tiré si heureusement au mois de décembre. Entre les dangers de la démagogie et les périls de la réaction absolutiste, l’administration de M. d’Azeglio a été jusqu’ici un moyen terme tutélaire ; elle représente l’opinion libérale modérée, qui ne veut sacrifier la vraie liberté ni à la licence ni au despotisme fatalement lié à l’alliance autrichienne. Voilà des considérations qui devaient immanquablement frapper les bons esprits du sénat, et ils sont en majorité. Il ne pouvait leur échapper qu’un grand intérêt patriotique dominait en cette occasion une question de conservation mal entendue.

Nous voyons que les hommes les plus recommandables par leur caractère et par une expérience mûrie dans la pratique des affaires ont prêté au ministère l’appui de leur parole. Les sénateurs Robert d’Azeglio, Plezza, Gioja, Gallina, Sauli, ont fourni des raisons propres à calmer les scrupules des consciences trop timorées qui demandaient, comme à la chambre des députés, des délais pour négocier avec Rome. En pareille matière, une autorité comme celle de M. Robert d’Azeglio, frère du président du conseil, avait assurément de quoi rassurer les plus timides. M. Robert d’Azeglio est connu pour un homme profondément religieux, et c’est au nom des véritables intérêts de l’église qu’il a demandé avec force l’abolition d’immunités plus nuisibles qu’utiles au clergé, de même qu’il s’était fait, il y a quelque temps, devant la papauté l’avocat de la liberté de conscience et le promoteur de l’émancipation des juifs en Italie. La loi a passé au sénat à 51 voix contre 29.

Au reste, le clergé piémontais, il faut bien le dire, a provoqué le coup inévitable qui devait tôt ou tard le frapper. Les évêques de Savoie et de Piémont, qui possèdent une influence très grande sur les populations, semblent, depuis