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la contradiction des deux actions diplomatiques engagées l’une à Londres et l’autre à Athènes. Si l’Angleterre, voyant tout cela, le trouve bon et pense, comme en 1840, qu’à la vérité il aurait mieux valu ne pas faire ce qui a été fait, mais que, puisque c’est fait, c’est bien fait, eh bien ! nous en conclurons ceci, c’est qu’il vaut mieux avoir lord Palmerston pour ami et l’Angleterre pour ennemie que d’avoir l’Angleterre pour amie et lord Palmerston pour ennemi !

Nous croyons que le ministère français est tout-à-fait en mesure de prouver qu’il a eu et dû avoir de légitimes espérances de succès en commençant la négociation du Pirée. Sans doute, en diplomatie, c’est un mauvais rôle que celui de dupe ; mais cela pourtant dépend de la dose de tromperies que l’adversaire a employée. Si l’adversaire a rusé plus qu’il ne convient à un honnête diplomate, ce n’est plus la dupe alors qui a le mauvais rôle.

N’exagérons pas d’ailleurs l’échec de notre négociation du Pirée ; elle n’a pas été inutile pour la Grèce. Si nous comparons le chiffre primitif des réclamations anglaises avec le chiffre définitif signifié par M. Wyse, nous trouvons une différence considérable, et nous attribuons une partie de cette différence à l’examen que M. Gros a fait avec le ministre anglais des élémens étranges de la créance de don Pacifico. Il y a plus : si nous comparons le chiffre que proposait M. Gros comme chiffre d’arbitrage et de transaction avec le chiffre de la dernière sommation anglaise, la différence est insignifiante. M. Gros proposait 150 000 drachmes ; M. Wyse en demande 180 000. Nous croyons donc que la Grèce a beaucoup gagné à ce que nous nous mêlions de la liquidation, et nous nous félicitons de ce résultat ; mais nous ne nous en félicitons qu’au regard de la Grèce. Lord Palmerston, en effet, a tout fait pour que la France ne gagnât rien à faire gagner quelque chose à la Grèce. Comment, en effet, si la différence entre le chiffre français et le chiffre anglais était si petite, comment ne pas céder sur cette différence, dans le cas où l’on eût voulu se montrer quelque peu bienveillant envers la France ? Quoi ! les 30 000 drachmes qui font la différence entre le chiffre anglais et le chiffre français étaient-ils une affaire d’état ? L’honneur de l’Angleterre y était-il engagé ? Non. Avec un peu de bonne volonté et, nous allions dire, de bonne foi, l’affaire pouvait s’arranger, personne n’en doute ; mais la bonne volonté manquait, et, ce qui le prouve, c’est la modicité même du chiffre qui fait la différence. Cette différence ne pouvait faire une difficulté que si on voulait en faire une. Or, on a voulu en faire une ; on a voulu que la France ne fût pas l’arbitre heureux du différend grec ; on a voulu que sa recommandation ne pût pas servir à empêcher la reprise des mesures coërcitives. Pour cela, une différence de 30 000 drachmes suffisait, et plus la modicité du chiffre démontrait qu’il n’y avait là aucun intérêt sérieux, plus l’obstination des mauvais procédés témoignait qu’il y avait là une volonté inflexible de faire échec à la France.

À Dieu ne plaise que nous reprochions au gouvernement français d’avoir été dupe ! Il a dû l’être, il a dû croire. Il eût été, nous ne disons pas impoli, il eût été injuste et défiant au-delà de la raison, s’il n’avait pas cru ; mais aussi il ne doit plus croire. Il doit se persuader dès ce moment que la France, qu’elle soit une monarchie légitime ou constitutionnelle, une république modérée ou radicale, que ses chefs s’appellent Charles X ou Henri V, Louis-Philippe ou le