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Tout s’est donc fait, de la part de tout le monde, de la part des chefs de la majorité comme de la part du président de la république et de son ministère, avec une fermeté sérieuse et tranquille qui nous fait bien augurer du succès.

La réforme électorale, telle qu’elle est proposée en ce moment, sera-t-elle efficace ? Sauvera-t-elle la société des dangers que lui prépare le suffrage universel tel que l’ont organisé les hommes du gouvernement provisoire ? Préviendra-t-elle cette révolution socialiste que les circulaires de M. Ledru-Rollin demandaient au suffrage universel, et que le suffrage universel semble vouloir maintenant nous donner, à Paris surtout ? C’est là une grave question ; mais il y en a une qui précède celle-là : c’est de savoir si le parti montagnard laissera se faire cette réforme, et s’il n’aura pas recours à l’insurrection pour l’empêcher. Telle est en effet la question que nous entendons débattre tous les matins.

Oui, dans un pays qui prétend avoir un gouvernement et être une société, on débat tous les matins la question de savoir, non pas si la loi est bonne ou mauvaise, non pas si elle a bien ou mal déterminé les conditions du domicile politique, mais s’il faut courir aux armes aujourd’hui ou demain, et comment il faut faire la guerre civile ! Cela s’appelle une question de procédure insurrectionnelle. Les uns veulent qu’on commence par refuser l’impôt, et, si le percepteur l’exige, alors on prendra son fusil pour repousser le percepteur. C’est ce qu’on appelle localiser la résistance. C’est le système des guérillas opposé à la grande guerre ; mais d’autres sont pour la grande guerre, ici, à Paris, et ils font leur plan de campagne, et cela se discute froidement et comme chose ordinaire et naturelle ! En vain les chefs s’opposent à cette effervescence ; on les traite de corrompus et de traîtres. Alors, pour se racheter de cette dangereuse et meurtrière accusation, les chefs enflent la voix à la tribune, et M. Michel de Bourges annonce d’un air terrible que le peuple ne se laissera pas exclure de l’enceinte électorale, et qu’en 1852 (notez la date !) il entrera de force dans cette enceinte qu’on veut lui interdire. Là-dessus, dans l’assemblée, on lui crie qu’il prêche l’insurrection. Eh ! oui, le pauvre homme prêche l’insurrection en 1852, pour éviter l’insurrection en 1850. Il déclame à longue échéance pour éviter d’agir sous bref délai. Il vous paraît violent, il est timide. Il vous semble faire de l’audace ; il fait de la prudence, mais de la prudence de club. Cette prudence réussira-t-elle ? Les violens, à qui on concède le droit qu’ils ont de s’insurger, consentiront-ils à ne s’insurger que dans deux ans ? Nous verrons bien qui, dans cette occasion, l’emportera dans le parti montagnard, de la tête ou de la queue ; si c’est la tête, nous sommes disposés à nous en féliciter, car nous aimons la hiérarchie partout.

Il nous reste à dire un mot de la dernière question que nous nous sommes faite. La réforme électorale est-elle le commencement d’une nouvelle politique dans le parti modéré ? Nous l’espérons. Nous ne demandons pas une politique contre-révolutionnaire, il s’en faut de beaucoup, mais nous demandons une politique anti-révolutionnaire. C’est de cette manière seulement que la république peut vivre, en cessant d’être une révolution pour devenir un gouvernement, et, pour résumer toute notre pensée à ce sujet, nous prendrions volontiers le vœu patriotique émis par le conseil général de l’agriculture, du