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quelques hommes, animés d’ailleurs des meilleures intentions, ont imaginé de l’accuser d’avoir trop favorisé le développement industriel et commercial aux dépens de l’agriculture. C’est encore là une de ces erreurs comme il y en avait tant qui se dissipent peu à peu. L’agriculture française n’a jamais été aussi florissante que sous ce gouvernement qui l’a, dit-on, tant délaissée. Qu’on se demande quelle était la valeur des terres il y a vingt ans, quelle était, à la même époque, la production agricole, et que l’on compare avec la valeur des terres et l’état de la production agricole en 1847, on verra si jamais industrie a fait de pareils progrès dans le même temps. C’est que le développement industriel et commercial d’un pays ne peut avoir lieu sans provoquer un développement correspondant dans son agriculture ; il y a plus, c’est que l’agriculture ne peut se développer rapidement qu’autant que l’industrie et le commerce se développent aussi ; car, en toute chose, ce qui fait la richesse d’une production, c’est l’étendue de ses débouchés, et l’industrie et le commerce fournissent en prospérant des débouchés toujours nouveaux à l’agriculture, qui en fournit à son tour à leurs produits.

Le gouvernement actuel aurait pu profiter, au point de vue politique, de cette injustice répandue encore dans un grand nombre d’esprits : il ne l’a pas voulu. Nous devons l’en féliciter. Rien n’est plus véritablement politique que la bonne foi. L’agriculture française se trompe si elle croit pouvoir séparer sa cause de celle des autres industries ; tant que toutes ne se relèveront pas à la fois, l’agriculture restera dans la gêne. Elle doit comprendre maintenant ce qu’elle perd depuis deux ans à ce brusque temps d’arrêt dans le mouvement industriel et commercial. Jamais expérience ne fut plus frappante et ne dut être plus instructive. S’il y a une sorte de denrées dont la vente puisse paraître à l’abri des vicissitudes des révolutions, c’est à coup sûr le blé, la viande, le vin, la laine, tout ce qui sert à la satisfaction des premiers besoins des hommes ; nous voyons cependant que ces produits, dont la consommation quotidienne semble de toute nécessité, refluent sur les marchés depuis que le commerce et l’industrie ne fournissent plus avec la même abondance les moyens d’échange, et les prix subissent un avilissement continu qui fait avec juste raison le désespoir des cultivateurs. Il n’y a qu’un moyen, qu’on le sache bien, de relever les prix, c’est de rouvrir les débouchés, et ces débouchés ne se rouvriront qu’autant que le commerce et l’industrie auront pris un nouvel essor ; car ce ralentissement de la consommation, qui produit tant de souffrances, n’a d’autres causes qu’une interruption dans la production et par suite dans l’échange.

C’est donc, à notre avis, par un juste sentiment des intérêts généraux et de l’intérêt agricole en particulier que le gouvernement a voulu