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d’espérer un accroissement de bénéfice. Favorable au gouvernement turc, cet arrangement le serait bien plus encore au concessionnaire, car, en admettant qu’une exploitation rationnelle, exécutée sur une échelle beaucoup plus grande et à l’aide de procédés plus efficaces, quadruplerait le produit des mines de l’Asie Mineure, hypothèse qui, certes, est fort modeste, le montant annuel de ce produit (qui est actuellement de 4,000,000 de francs) serait de 16,000,000 de francs ; et, si le concessionnaire obtenait l’affermage au prix de 5,000,000 de francs, son bénéfice serait de 7,500,000 francs, le bénéfice obtenu par le gouvernement turc étant à peu près de 50 pour 100. Or, que l’on réfléchisse à l’énorme développement que pourrait prendre l’exploitation des gîtes métallifères de l’Asie Mineure entre les mains de l’industrie européenne, et on reconnaîtra bientôt que l’exploitation de ces mines assurerait au concessionnaire européen un bénéfice bien supérieur à celui que retire un célèbre banquier des mines de mercure de l’Espagne. D’abord, les mines de mercure de l’Espagne ne donnent pas un bénéfice net de 50 pour 100, comme les mines de l’Asie Mineure ; ensuite, le gouvernement turc, moins versé dans ces sortes de questions que tout autre gouvernement, est naturellement porté à établir la valeur des mines qu’il concéderait sur la base de sa recette actuelle, sans tenir compte de l’influence exercée sur cette recette par sa propre incapacité. Le gouvernement turc croirait donc avoir fait une excellente affaire en acceptant un bénéfice un peu supérieur à celui qu’il réalise aujourd’hui, et on comprend sans peine que l’administration ottomane est la seule en Europe avec laquelle des spéculateurs puissent traiter sur un pied aussi avantageux.

La nature, on le voit, a été prodigue envers l’Asie Mineure ; elle lui a tout donné, richesses agricoles et richesses minérales. On se demande comment un empire qui compte parmi ses provinces un si riche territoire occupe aujourd’hui dans le monde un rang si peu digne de son glorieux passé. Le mot de cette énigme est dans l’organisation vicieuse de l’administration turque. Déjà on a pu voir combien le régime auquel est soumise l’Asie Mineure nuit au développement de sa prospérité matérielle. Il me reste à traiter cette question d’un point de vue plus large et dans ses rapports avec la prospérité générale de l’empire ottoman.


Pierre de Tchihatchef.