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accomplies de concert, assureraient la régénération d’un empire dont l’existence importe plus que jamais à la paix du monde.

En visitant l’Asie Mineure, j’étais préoccupé de ces exigences nouvelles qui s’imposent à la Turquie comme à l’Europe. De précédens voyages à travers les montagnes glacées de la Sibérie et de la frontière de Chine m’avaient déjà montré ce que l’activité humaine bien dirigée peut arracher de richesses au sol en apparence le plus ingrat. J’avais hâte de contempler cette lutte de l’homme contre la nature en de plus doux climats, et, à peine revenu de l’Altaï[1], je me dirigeai vers le Taurus. La péninsule anatolique offrait à mes explorations un vaste et curieux théâtre : mon attente ne fut pas trompée. Durant trois années de séjour en Anatolie, je n’ai pas seulement admiré dans ses aspects les plus variés la nature orientale, j’ai pu aussi observer à loisir la population qui vit sur ce sol privilégié, et la situation de l’Asie Mineure sous le gouvernement d’Abdul-Medjid m’a donné une idée de la situation générale de l’empire ottoman. Un sol fertile et privé de culture, une population insouciante, quoique pleine d’intelligence, une administration qui ne peut faire prévaloir les intérêts du présent qu’à la condition de lutter sans cesse contre les traditions du passé, voilà ce que j’ai retrouvé trop souvent en Asie Mineure, voilà ce qui se retrouve, je le crains bien, dans toute la Turquie.


I

Sous le nom d’Asie Mineure, les géographes désignent la vaste péninsule qui sépare la Méditerranée du bassin de la mer Noire. La limite orientale de cette péninsule pourrait être marquée par une ligne obliquement tirée de Trébisonde au golfe d’Alexandrette. Le territoire compris entre cette ligne et l’archipel grec égale en étendue toute la France : il est divisé en onze eyalet ou vice-royautés. Cette division a confondu et effacé presque partout les limites des petits états dont le nom revient si souvent dans les anciennes annales de la Grèce et de l’Italie. — Ainsi l’eyalet de Trébisonde comprend une partie de l’Arménie Mineure, du Pont et de la Colchide. — Celui de Kastemouni se compose d’une partie de la Bithynie et de la Paphlagonie. — Sous le nom de Kudavenguiar est désignée aujourd’hui une partie de la Phrygie, de la Bithynie et de la Mysie. — L’ancienne Troade est devenue l’eyalet de Biga ; la Galatie, celui d’Angora. — Une partie de la Mysie, de la Lydie, de l’Ionie, forme la vice-royauté de Saroukhan. – L’eyalet d’Aïdin renferme une partie de la Lydie, de la Phrygie et de la Carie ; — celui de Karaman, une partie de la Pisidie, la Lycie, la

  1. Voyez, sur le voyage dans l’Altaï, la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1845.