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intimement liée avec la politique et la nationalité. Un hérétique à Athènes était donc quelque chose comme un transfuge, comme un ennemi de la république. Socrate, jugé d’après toutes les formes de procédure reçues, fut convaincu par un jury nombreux, sur tous les chefs, ou plutôt il se glorifia d’être coupable. Il aurait pu, selon toute apparence, se soustraire à la mort et peut-être même à une condamnation, s’il avait voulu se défendre autrement. M. Grote suppose, non sans raison, qu’arrivé au terme de sa carrière, il aurait préféré une mort sublime, et qui laissait un grand enseignement, à l’obligation de rompre ses habitudes.

Les lois athéniennes étant données, Socrate a dû être condamné, cela est incontestable ; mais nous demanderons à M. Grote si ce résultat est à la gloire de ce régime pour lequel il montre parfois un peu trop de partialité.

En terminant, nous remarquerons que l’appréciation du jugement de Socrate et l’explication des causes qui l’ont provoqué ont été exposées, il y a cent quatorze ans, par Fréret, qui arrive à peu près aux mêmes conclusions que M. Grote[1]. M. Cousin, dans l’argument qui précède l’Apologie de Socrate, au premier volume de son éloquente traduction de Platon, prouve également en quelques mots que le jugement était conforme aux lois existantes[2]. Cependant M. Grote n’a cité ni Fréret, ni M. Cousin. Je suis bien loin de croire qu’il ait eu le moins du monde la pensée de déguiser un plagiat : je crains plutôt que M. Grote n’ait lu ni Fréret, ni M. Cousin ; il s’est donné cependant la peine de réfuter un M. Forchammer, professeur allemand, qui trouve que Socrate était un grand coquin. On croit trop en Angleterre à la spécialité des Allemands pour l’érudition et la philosophie. La mode est aux systèmes allemands. M. Grote est un trop bon esprit pour admettre l’imagination en matière d’histoire et de linguistique ; il me permettra de lui rappeler qu’il existe en France des érudits et des philosophes sérieux.


PROSPER MERIMEE.

  1. Hist. de l’Académie des Inscr., t. XLVII, p. 209.
  2. Voyez encore, sur le même sujet, les Fragmens philosophiques de M. Cousin, t. I, p. 115, 4e édition.