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périls et des obstacles, ne demeure-t-on pas, en politique aussi bien qu’en morale, responsable à la fois et de ces difficultés mêmes et des moyens devenus nécessaires pour en triompher ? Au 10 août, les jacobins ne tirèrent-ils pas les canons braqués depuis deux ans par les feuillans et chargés depuis six mois par la loquacité girondine ? A ceux-là donc le dernier mot de la crise, mais à la majorité de la constituante et à elle seule la responsabilité devant Dieu et devant les hommes d’une révolution provoquée par la violation des principes qu’elle-même avait proclamés, et consommée contrairement au vœu de la France, manifesté par l’unanimité de ses mandats.

Aucune assemblée n’a porté plus directement que la constituante tic poids des événemens survenus et des actes parlementaires consommés après la clôture de sa carrière. Celle qui la suivit ne fit que tirer ou subir les conséquences de tout ce que la première assemblée nationale avait fait ou laissé faire. La législative continua la constituante comme la vieillesse continue l’âge mûr, comme le soir continue le jour. La seconde législature fut l’ombre décolorée de la première ; elle exploita les mêmes idées et s’inspira des mêmes passions ; mais elle joua son rôle à la manière d’une utilité qui double un grand acteur, exagérant ses défauts sans atteindre à son originalité, substituant l’insolence à la hauteur et une lâcheté déclamatoire à une sophistique faiblesse.

Rien n’entrava, aux élections de 1791, l’action de la bourgeoisie : débarrassée du clergé arraché à l’autel, de la noblesse qui se précipitait dans l’émigration, elle restait seule, en apparence, maîtresse du sol et de la direction des événemens. Aussi se faisait-elle alors, sur la dure de sa puissance et sur l’immutabilité des institutions politiques destinées à la consacrer, des illusions qui le disputaient assurément aux plus présomptueuses chimères de Coblentz. Elle proclamait avec une confiance superbe l’éternité de la constitution dont son imprévoyance avait déjà brisé tous les ressorts, et qui n’avait plus qu’une sorte d’existence nominale le jour où la seconde législature venait continuer l’œuvre de la première.

À la séance d’inauguration, tous les membres de la législative,issus des mêmes couches de la société d’où était sortie la majorité précédente, vinrent, la larme à l’œil et le bras tendu, jurer de vivre et de mourir pour la loi fondamentale qui n’avait pas dix mois devant elle, et dont la destruction allait être bientôt consacrée par les mêmes hommes qui la proclamaient immortelle. C’était dans la plus entière bonne foi qu’elle se levait avec une émotion religieuse pour accueillir l’archiviste Camus portant sur sa poitrine les tables de la loi avec la majesté de Moïse au Sinaï. Cette étrange hallucination poursuivit la législative jusqu’au dernier jour de sa courte et orageuse carrière ; elle ne portait jamais un décret de proscription ou de ruine, elle n’envoyait