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le droit de célébrer le culte, à titre privé, dans les édifices religieux où ils allaient cesser de l’exercer comme fonctionnaires publics. L’assemblée leur avait même attribué, sur les 85 millions inscrits à la dette publique pour la subvention du clergé, une pension faible, il est vrai, mais suffisante pour mettre ces ecclésiastiques à couvert du besoin. Malheureusement il est plus facile de repousser un principe dangereux que d’en limiter les conséquences, et, lorsqu’on est sorti des voies de la justice, la violence engendre la violence, comme l’abîme invoque l’abîme. Le contact des deux clergés au sein des mêmes édifices provoqua sur tous les points les scènes qu’il semblait naturel de prévoir. Il fallut bientôt chasser de l’autel les curés qu’on n’avait entendu d’abord chasser que de leurs presbytères.


III

Héritière de l’œuvre commencée, plus dominée que la constituante elle-même par les passions qui l’avaient fait entreprendre, la législative répondit par des rigueurs nouvelles aux révélations qui lui parvenaient de tous les points du royaume sur une situation dont chaque jour augmentait les périls. À peine rassemblée, elle entendait le rapport de deux commissaires chargés par la précédente assemblée d’étudier sur les lieux les causes de l’agitation à laquelle étaient en proie, la plupart des départemens de l’ouest[1]. Après avoir signalé l’indifférence avec laquelle les grandes innovations politiques avaient été accueillies dans ces contrées, ce document constate le caractère exclusivement religieux de l’agitation qui les troublait alors, et laisse pressentir l’aspect redoutable sous lequel cette agitation va bientôt se produire ; enfin, avec la timidité naturelle à quiconque osait à cette époque parler de modération et de justice, il conseille certains redressemens, insinue la convenance de certaines modifications à une législation désastreuse. Aux conseils de prudence et de justice, l’assemblée législative ne sut répondre que par des mesures atroces. Un premier décret réduisit à la mendicité tous les prêtres non assermentés ; bientôt les administrations locales furent autorisées à prononcer leur expulsion, comme on prononce celle des forçats en rupture de ban ; enfin la peine de mort ne tarda pas à suivre et à sanctionner la peine de l’exil.

L’émigration avait été l’une des conséquences indirectes de cette législation tyrannique, puisque ce fut dans les tortures de sa conscience indignement violentée que Louis XVI puisa la résolution qui devint le signal de ce grand mouvement. L’assemblée constituante avait, en 1790, rejeté sans discussion un projet de décret, émané de son comité

  1. Rapport de MM. Gensonné et Gallois à l’assemblée législative.