Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formée d’élémens si divers dans une inaction prolongée entre les excitations de Paris et les influences de Versailles, ne pas même essayer d’imprimer une direction à ses travaux, c’était ouvrir à toutes les passions et à toutes les intrigues la brûlante arène d’où le pouvoir se retirait ; c’était surtout s’exposer au péril d’étouffer les velléités si nouvelles encorede l’esprit public sous les vieilles inspirations de l’esprit de caste. La noblesse, disposée à s’incliner devant la volonté du roi, refusa de s’immoler elle-même sur les injonctions du tiers-état. Ainsi engagée, dès l’ouverture des états-généraux, dans une lutte de prérogative et d’amour-propre avec la bourgeoisie, elle disputa le lendemain avec hauteur ce que la veille encore elle était disposée à concéder avec empressement. Cette aristocratie militaire, qui avait été enseignée à ne jamais résister à ses princes et à ne jamais céder à ses ennemis, qui s’inclinait sous le commandement et se redressait sous la menace, éprouva la tentation de se défendre par les moyens dont elle avait coutume d’user chaque fois que son honneur lui paraissait compromis. Contrainte de céder à la sommation des communes, à laquelle le concours de la majorité du clergé était venu prêter une force irrésistible ; blessée d’avoir entendu, à la séance solennelle du 23 juin, le roi adresser à l’assemblée des injonctions méprisées ; plus irritée encore de voir la royauté tenter vainement d’obtenir l’exécution de ses ordres, en faisant pénétrer une escouade de tapissiers dans une salle qu’elle n’osait faire évacuer par une compagnie de ses gardes, la noblesse conseilla l’appel à Versailles d’une force assez imposante pour rendre à la monarchie le prestige qu’elle avait perdu et pour contenir les passions populaires qui se déchaînaient autour de l’assemblée. Un petit nombre alla plus loin dans ses espérances et dans ses rêves, et crut à la possibilité de dissoudre par la force la représentation nationale.

C’était là la plus folle des illusions, et l’état de la France protestait contre elle. Dans les plus grandes provinces, l’ancien régime n’existait déjà plus ; l’insurrection l’avait renversé même avant que l’assemblée nationale fût constituée. Toute tentative pour dissoudre cette assemblée, à laquelle se rattachaient alors tous les intérêts et toutes les espérances, aurait été le signal d’une anarchie dont les gentilshommes n’eussent pas été les seules, mais dont ils fussent devenus à coup sûr les premières victimes. Aucune puissance humaine n’aurait pu renverser cette représentation de 25 millions d’hommes, et, pour croire le contraire, il fallait vivre dans une atmosphère d’ignorance et de vertige. Les plus irrécusables documens constatent que Louis XVI ne conçut jamais une telle pensée ; ils établissent même que cette pensée là ne fut jamais arrêtée d’une manière vraiment sérieuse dans l’esprit des conseillers intimes qui, groupés autour de certains membres de la famille royale, caressaient de vagues projets de contre-révolution. Aujourd’hui que tous les témoignages se sont produits, et qu’aucun