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les dollars. Fidèles au teutonisme et au christianisme, — sources de cette civilisation américaine que le XVIIIe siècle voudrait confisquer à son profit, — fidèles à leur langue même, selon laquelle il n’y a pas de peuple dans le sens ridicule que les races romaines ont attaché à ce mot, ils ne reconnaissent que des fellows, membres du même Folk ou Volk, terme qui, dans l’idiome primitif, dans les antiques ballades comme dans l’histoire, embrasse à la fois le plus riche et le plus pauvre, le plus puissant et le plus insignifiant membre de la communauté, — race de frères. Comprenant qu’il n’y a pas d’association réelle hors de la sympathie, ils pratiquent après leurs pères cette parole de l’Imitation du Christ : « Il faut beaucoup se gêner et se donner de peine pour vivre en commun. » En Suisse et en Norwége, en Danemark et en Islande, ainsi qu’en Amérique, le sentiment chrétien et germanique a quelquefois produit l’association. On a des vaches et des brebis en commun, le produit des fromages et du lait se partage ; cette communauté émane-t-elle des lois ? elle naît des mœurs. Les Américains estiment, comme leurs pères calvinistes, que l’homme, être borné et faible, a besoin de secours, qu’il a besoin de charité, qu’il doit assister son semblable et travailler de concert avec lui. Avec de tels moyens, on n’a que faire de gouvernement, les formes matérielles sont superflues ; on possède l’indispensable, — amour religieux de l’humanité, — activité indomptée, — respect de la loi. Faute de ces trois élémens moraux de tout corps social organique, les Espagnols du Mexique et du Pérou, sous les pieds desquels l’or et l’argent germaient, plus tolérans, plus civilisés, plus sociables et plus aimables que les Mather et les Smith, sont tombés dans la dégradation et la décadence. Aujourd’hui le mécanisme politique des états de l’Amérique du Sud, à proprement parler, n’existe pas ; celui des possessions anglo-françaises est languissant, contradictoire et incomplet ; celui des États-Unis vigoureux, complexe et effectif.


Ce que l’Amérique deviendra, il n’est pas difficile de le deviner ; une Europe agrandie, et quelle Europe ? L’espace compris entre les Alleghanies, parallèles à l’Atlantique, et les Montagnes Rocheuses, parallèles à la Pacifique, est, comme on le sait, six fois plus grand que la France. Si l’on y joint les trois cent quatre-vingt-dix lieues des anciens états et les nouveaux territoires acquis récemment depuis les Montagnes Rocheuses jusqu’à la mer, l’imagination elle-même s’étonnera de ces proportions. C’est le dixième du globe entier. Aussi nul Américain ne voit-il sa patrie dans le clocher, mais dans la race et la société auxquelles il appartient. L’habitant de New-York passe sans peine à la Nouvelle-Orléans, et le Louisianais va s’acclimater dans le Kentucky. Pourvu que vous lui laissiez ces lois et ces mœurs qui lui