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son teint pâle, sa physionomie cauteleuse, dont l’expression était à la fois insinuante et déplaisante, n’avaient aucun attrait pour le voyageur anglais, qui essaya vainement d’échapper au point d’interrogation écrit dans les regards de notre homme. L’Américain mâchait du tabac, l’Anglais se détournait et reculait autant que possible. L’Américain se rapprochait toujours, et, entre deux expectorations : — Bonjour, étranger, lui dit-il.

— Bonjour, répondit l’Anglais, qui, se retournant, fut étonné de ne plus retrouver le regard de l’Américain, regard qui se promenait sur les montagnes bleues de l’horizon.

— Comment cela va-t-il ? reprit l’Américain, reportant tout à coup sur son voisin ce regard pénétrant qui allait aussitôt errer sur les collines éloignées.

— Aussi bien que l’on peut se porter par une chaleur pareille, répliqua M. Mackay s’essuyant le front. — Mâchez-vous du tabac ? — Non. — Vous prisez ? — Non. — Vous fumez ? — Quelquefois. — C’est une habitude malpropre, s’écria l’Américain en lançant sur le grillage de cuivre qui entourait l’impériale un jet empoisonné dont une portion tomba sur son pantalon et qu’il essuya avec sa manche. L’usage du tabac n’est jamais propre, lui dit l’autre en regardant la manche.

L’interrogateur n’eut pas l’air ému le moins du monde, et reprit bravement : — Vous n’êtes point Écossais par hasard ? — Vous pourriez vous tromper en croyant que je ne le suis pas. — C’est que vous portez un tartan. — En effet, il a l’air écossais. — J’avais donc raison ? — Je n’ai pas dit que vous eussiez tort. -Étranger, si je m’étais trompé, vous m’en auriez averti.

Cette conversation polie fut un moment suspendue par l’Anglais, qui, tirant son carnet de sa poche, eut l’air d’y inscrire des notes avec une profonde attention. Après deux minutes, l’autre lui frappant sur l’épaule : — J’aime les Écossais ! — Ah ! — Je suis d’Écosse moi-même. — Vraiment ? — C’est-à-dire que je suis né en Amérique, mon père aussi, mon grand-père aussi, mais mon aïeul en était. — Je vois que vous avez des aïeux ! — Oh ! en Amérique, ces choses-là ne comptent pas ; nous pensons à ce qui est dessus, non à ce qui est dessous. Depuis combien de temps êtes-vous dans le pays ? — Depuis quelques mois. — Et vous y restez combien de temps encore ? — Cela dépend. — De quoi cela dépend-il ? continua l’homme en expectorant par-dessus l’épaule du malheureux M. Mackay. — Si je vous disais de quoi cela dépend, nous serions arrivés avant que j’eusse fini. — Oh ! mais, quand nous serons arrivés, nous pourrons continuer la route ensemble. — Non pas, assurément. — Vous venez pour affaire du gouvernement ? — Oui sait ? — Je ne crois pas que vous soyez dans le