Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émancipant leurs esclaves, une compensation suffisante qui s’élèverait à plus de 2 millions sterling, l’insalubrité pour les blancs de certaines provinces qu’ils font exploiter par leurs noirs, tout concourt à maintenir dans le sud cette flagrante et cruelle iniquité. Même dans le nord, et parmi ceux qui favoriseraient, comme principe et comme sentiment, la destruction de l’esclavage, des scrupules vifs et des répulsions profondes empêchent l’adoption de mesures décisives. On craint de briser le lien national, d’irriter le sud, déjà si irritable, et de le détacher à jamais. On ne veut pas mettre d’obstacle et d’entrave à la conquête gigantesque qui n’a pas encore accompli le dixième de son œuvre, conquête à laquelle la race africaine a été forcée de donner ses bras et son sang. Démocrates et whigs s’entendent bien pour activer l’agriculture, supplanter les cousins d’Angleterre sur tous les marchés dont on peut s’emparer, vaincre les obstacles naturels par des travaux énormes qui souvent laissent des états insolvables ; — pour trouer l’ouest (tapping the west) au moyen de canaux qui percent le continent de part en part, relient les Alleghanies à l’Atlantique et triomphent des terrasses naturelles qui séparent les uns de l’autre, pour continuer et compléter les lignes de chemins de fer déjà si nombreuses, enfin pour précipiter le mouvement de la civilisation matérielle. Qu’il y ait ou non des esclaves, que leur importe ?

On sait que les Américains ont pris pour devise en avant (going a head), mot d’ordre de leur pays ; l’équité morale ne les arrête pas toujours, l’impossibilité même ne les effraie pas ; il faut que cette impossibilité soit parfaitement démontrée. Essayons d’abord, telles sont les premières paroles que l’on prononce. On essaie ; une fois sur vingt, on réussit. Dès que l’importance du but est reconnue, l’Américain s’élance vers ce but avec une vigueur, un ressort, un acharnement extraordinaires. Il est question aujourd’hui d’un chemin de fer qui partira des Lacs du Canada pour aboutir à l’Océan Pacifique : plan gigantesque, mais praticable, qui fera de l’Amérique le grand chemin d’Asie en Europe et d’Europe en Asie, et emploiera utilement des milliers de lieues stériles aujourd’hui ; cela suffit pour que l’attention sérieuse des législateurs américains s’arrête sur le projet, et il est probable qu’on le verra s’accomplir.

C’était dans un tel pays que le télégraphe électrique devait jouir d’une extrême popularité ; suivant l’almanach américain pour 1848, il y avait en plein exercice, en 1847, 2,311 milles de fils électriques, 2,586 autres en construction, 3,815 en projet, total 8,712. Aujourd’hui, grace à une station télégraphique placée sur le cap Anne, Washington reçoit les nouvelles d’Europe avant même que les navires aient touché le port de Boston. Une pulsation imprimée à cinq cents milles de fil de fer apprend au législateur du congrès ce qui se passe à Paris et à