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du président Jackson le décidèrent à temporiser et à céder. Quelques mots prononcés alors dans l’enceinte de la chambre basse firent tressaillir dans ses dernières et plus lointaines fibres le corps politique des États-Unis. Un orateur, après de longs débats qui avaient enflammé les esprits, parla de dissoudre l’Union, menace dont le pressentiment vague s’était fait entrevoir, mais qui, près de se réaliser, frappa l’assemblée d’une terreur solennelle. Pâle, les lèvres tremblantes et crispées, le proclamateur de la déclaration de guerre était là, debout, immobile, comme stupéfait de ses propres paroles. Tout se taisait. C’était le divorce entre des cœurs aimans et passionnés qui allait se prononcer ; c’était le suicide de l’Amérique. Les Américains le comprennent bien ; l’élément de la variété et de la liberté ne faiblira jamais chez eux, et ils le savent ; sans l’autre élément de la fraternité chrétienne et de l’Union, que deviendrait ce grand corps ?

On voit combien est délicat et nécessairement fragile ce mécanisme fédératif où les deux élémens de la variété libre et de l’unité de l’ensemble se tiennent en échec et se balancent. Il s’agit de maintenir entre ces trente et un groupes distincts, souvent divisés d’intérêt, la force de cohésion, force toute morale ; les armes n’y réussiraient pas. Il y a quelques années, la législature de Pensylvanie fut assaillie par une troupe d’émeutiers qui mirent en fuite les membres de l’assemblée, non sans danger pour leur vie ; une partie de la population de Philadelphie était d’accord avec les chefs du mouvement, et la milice d’Harrisburgh et des environs était à moitié dans leurs intérêts. Jusqu’ici le sentiment national, favorisé et entretenu par la constitution, a prévalu ; la chambre basse ne représente pas les localités, mais l’Union ; les soixante membres du sénat, représentans des trente états particuliers, agissent également dans leur capacité collective. Ainsi une base d’unité fondamentale relie les diversités, et continuera de les unir, jusqu’au moment, redouté des Américains, où des intérêts trop violens et trop hostiles, brisant définitivement ce lien, établiront, ce qui n’est pas impossible dans un avenir éloigné, des groupes de républiques séparées.

Nous avons montré à quelles origines se rattache dans le passé cet équilibre savant et complexe. La stratégie usitée depuis long-temps dans la mère-patrie est également mise en œuvre et perfectionnée par les partis américains ; une question intéressante pour le pays se présente-t-elle ? c’est à qui s’en emparera le premier. Les démocrates en général sont les plus actifs ; en s’appropriant de bonne heure la question de l’Orégon et celle du Texas, ils ont gagné de vitesse leurs ennemis. Les vieilles corruptions de la politique anglaise n’ont pas disparu au souffle des institutions fédérales et républicaines. En 1840, on a vu le général Harrisson élevé à la présidence par des moyens peu orthodoxes. Ce qu’on appelait « l’agitation des bûches » (log-cabin agitation)