Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un roc flanqué par l’Océan et environné de sables stériles, sous un ciel rigoureux ; là ils font leur première abeille, heureux de travailler en liberté les uns pour les autres, rédigent leurs lois, choisissent leurs magistrats, agissent par délégués et représentans, reconnaissent un roi nominal, laissent la métropole se vanter d’être leur souveraine, et dans la réalité organisent une république. Pourvu qu’ils paient leurs impôts, on ne leur en demande pas davantage.

La première époque de la colonie commence vers 1620 et finit vers 1715 ; c’est une période toute sauvage. Il n’y avait pas, en 1732, du temps de Voltaire, un seul peintre de portraits en Amérique[1], pas un seul collége avant 1639, pas une seule presse avant 1640. On ne s’occupait que de défricher, et à grand’peine ; pour s’exciter au redoutable combat contre la nature, on avait choisi les terrains les plus rebelles. La première fondation de collége fut celle que le ministre Jean Harvard dota de 800 livres sterling en 1639 ; ce collége de Harvard est aujourd’hui le plus célèbre des États-Unis.

La première presse mise en mouvement dans la même localité de Cambridge, en 1639, servit à imprimer une détestable traduction calviniste des Psaumes de David. Pas de ville anglo-américaine jusqu’en 1564. Dans toute l’Amérique du Nord, il n’y eut long-temps de villes que Saint-Augustin, fondée par les Espagnols de la Floride, et Santa-F&, qui existe encore. Après un siècle, la population totale n’était que de quatre cent trente-quatre mille six cents ames, sans comprendre dans ce nombre la population des Peaux-Rouges, qui n’avait jamais été considérable, et qui, des Montagnes Rocheuses jusqu’aux bords de l’Atlantique, ne s’était pas élevée à plus de trois cent mille ames. Le mot Nouveau-Monde est juste à tous égards.

Entre 1615 et 1715, ce que l’Europe rejette, les élémens réfractaires, bannis, régicides, mécontens, hommes d’aventure, catholiques repoussés par les protestans, protestans chassés par les catholiques, quelques rêveurs, beaucoup de pauvres gens qui ne savent que faire, viennent se fondre dans la masse anglo-saxonne des puritains qui fuient l’esclavage religieux et se dérobent au monopole oppressif de Jacques le, et de son fils ; ceux-ci commandent, ou plutôt leur esprit viril et organisateur domine tout. On se forme en groupes, en abeilles. Les difficultés sont grandes, la pauvreté est extrême ; on honore le labeur, la prière, la sévérité de la vie et la probité.

Pendant cette phase, barbare si l’on veut, héroïque assurément, ce peuple entreprenant, commerçant, colon, navigateur comme ses pères, a-t-il changé d’esprit et de race ? Non. Tout commerce est un danger, il a donc du courage ; toute culture est une fatigue, il a donc de la

  1. Voyez Hidreth. — V. aussi B. Franklin’s Life by Jared Sparks.