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les dépêches et devait quitter le port de Boston le 1er février, se trouva emprisonné dans des glaces qui avaient sept pieds d’épaisseur près de l’embarcadère et deux pieds jusqu’à sept milles du rivage. Il fallait opérer, soit au moyen de chariots, soit à bras, le transport des marchandises que l’on voulait embarquer et les faire parvenir ainsi jusqu’au bord de la glace, où les attendaient les navires. Dès que la nouvelle de ce blocus se répandit à Boston, le gathering of the bee eut lieu aussi spontanément que dans les bois de l’Ohio ou du Ténessee. Cette ville opulente et littéraire fut debout pour délivrer la malle-poste anglaise. Les workies commandés par des ingénieurs tracèrent dans la glace de sept pieds d’épaisseur un canal de sept milles de long sur cent pieds de large ; deux sillons parallèles de sept pouces de profondeur furent creusés au moyen d’une charrue à glace tirée par plusieurs chevaux ; des blocs de glace de cent pieds carrés furent détachés au moyen de la scie et glissèrent vers la mer, entraînés par des câbles et Iles crampons, quelquefois poussés par cinquante hommes. Cette opération énorme, et qui n’était pas sans danger, fut accomplie en deux jours ; mais déjà la glace s’était reformée, épaisse de deux pieds. Les Bostoniens accoururent pour voir comment la Britannia, qui avait revêtu d’une cuirasse de fer ses écoutes en cuivre, ferait sa voie malgré ce nouvel obstacle. Elle y parvint sans trop endommager ses roues, s’élança à travers la glace, faisant sept milles à l’heure, et sortit triomphante du port, aux grandes acclamations de plus de vingt mille Bostoniens. Des tentes nombreuses avaient été dressées sur le rivage ; la bonne compagnie de la ville s’y était rendue en traîneaux. Une couche épaisse de neige, tombée pendant la nuit, couvrait la glace ; le soleil montait dans le ciel, de joyeux hurrahs retentissaient pendant que les uns poussaient au large le navire avec de longs avirons de fer, et que de plus hardis, montés sur des bateaux légers, l’escortaient en pleine mer. Pour compléter cette bonne œuvre, dont la gravure américaine a eu soin de perpétuer le souvenir, l’administration des postes de la Grande-Bretagne ayant offert aux Bostoniens une indemnité, ces derniers refusèrent galamment. Jamais de mémoire d’homme les travailleurs de l’Abeille ne s’étaient fait payer leurs soins.

Il est curieux sans doute, il est utile de chercher comment de telles mœurs se sont formées, quelles institutions elles ont produites, comment les unes se soutiennent par les autres, quels vices s’y sont introduits ou en ont résulté, enfin quelle est la marche actuelle d’une société ainsi organisée, et vers quel avenir elle se dirige. Pour trouver la source vive de ces mœurs, il faut lire, non pas Benjamin Franklin ou Jefferson, qui appartiennent à la seconde époque de l’Amérique, mais bien les Narratives of the first Pilgrims, « extraits de documens primitifs relatifs aux voyages des vieux puritains, » et les bouquins ridicules