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XVIe siècle. Partout la même ligne de démarcation : ici, forêts défrichées, champs cultivés, maisons bâties, fermes exploitées par la population anglo-américaine ; là, une solitude infertile, où végètent dans la pauvreté quelques colons, débris épars dans les bois des anciennes familles françaises, sans esprit d’entreprise, sans routes et sans marchés, séparés les uns des autres par des distances considérables. » C’est ce même génie chrétien et teutonique de l’association volontaire, de la sympathie industrieuse, qui, en Irlande, oppose la richesse de certaines cultures exploitées par les familles écossaises à la profonde misère des cantons voisins, livrés à l’incurie keltique.

Persuadez au paysan normand, picard ou gascon d’aller chaque semaine déposer ses épargnes dans une banque centrale ; dites à ce vigneron qui se défie du charron, à ce charron qui n’aime pas le médecin, à ce médecin qui déteste le curé, de s’associer l’un à l’autre ils n’en feront rien. Chacun thésaurisant le peu qu’il gagne et se tenant en garde contre le voisin, toute communauté d’intérêt sera imposable. Supposez en outre que l’homme de l’université couche en joue comme d’église, que le percepteur des contributions soit en guerre avec l’instituteur, et que la voix tonnante des journaux ranime perpétuellement ces haines mutuelles sous la cendre qui les recouvre et les assoupit ; de cette accumulation d’antagonismes quelle harmonie pourra naître ? Ce sont les hommes spéciaux et les statisticiens qu’il faut écouter à ce propos ; — ils nous disent qu’en France une population de trente-cinq millions d’hommes ne produit que cinq cent vingt millions de boisseaux de blé et de froment de toute espèce par an, qu’elle élève peu de bétail en proportion du nombre des habitans ; en un mot, qu’avec les plus beaux ports et le plus admirable sol, elle est relativement pauvre. Le ressort moral détendu, l’esprit d’entreprise manquant ou faisant fausse route, le cabaret remplaçant l’église, la jouissance présente absorbant l’avenir, l’esprit de famille attaqué, point de banques locales et populaires, une démoralisation profonde s’emparant des villes de manufactures, tout cela ne vient pas du présent, mais du passé ; ainsi s’explique suffisamment la déperdition de forces qui, depuis deux siècles, n’a pas cessé d’appauvrir la France. Quel statisticien dressera le bilan complet du capital détruit par nos guerres inutiles ou malheureuses, par nos théories fausses, par notre inactivité ou notre incurie ? Entre 1803 et 1815 la grande lutte contre l’Europe nous a coûté 6000 millions de francs et un million d’hommes ; nous avons payé aux alliés 1500 nouveaux millions, sans compter 1500 autres millions de produits bruts de toute espèce anéantis par deux invasions : ce sont 9000 millions de francs absorbés pendant douze années. Si l’on remonte ensuite de 1800 à 1789, on trouvera une somme à peu près égale annulée tant par les guerres de la révolution que par les