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était bien engageant, mais aussi plein de promesses bien difficiles à remplir : le Songe d’une nuit d’été, une des plus délicieuses fantaisies de Shakspeare ! une excursion dans ce monde enchanté que le poète a peuplé de ses créations idéales, Puck et Oberon, la belle Titania et l’amazone Hippolyte ! Les librettistes de l’Opéra-Comique, au lieu de s’inspirer de Shakspeare, ont trouvé plus commode de le mettre en scène. Ils ont fait de l’auteur de Macbeth le héros d’une aventure galante dont l’héroïne n’est autre que la reine Elisabeth, mais une Élisabeth d’opéra-comique, qui ressemble fort peu à celle de Walter Scott et de l’histoire. Il est difficile d’imaginer rien de plus invraisemblable, de plus traînant et de plus lourd que ce poème sur lequel M. Ambroise Thomas a eu à écrire sa musique son talent fin et spirituel s’en est ressenti ; il n’a su être ni franchement bouffe, comme dans quelques-uns de ses précédens ouvrages, ni poétique et rêveur, comme l’exigeaient son titre, son sujet et son héros. Bien qu’il ait fait chanter tour à tour Falstaff et Shakspeare, il n’a eu ni la gaieté de l’un ni la fantaisie de l’autre. Toutefois un chœur charmant au second acte, de jolis couplets au troisième, des détails très élégans auxquels manquent, par malheur, l’unité, le développement et l’ensemble, révèlent une main habile et obtiennent grace pour ce Songe, s’ils ne justifient pas tout-à-fait les applaudissemens frénétiques et les éloges excessifs que lui ont prodigués des spectateurs complaisans et des critiques peu convaincus.

C’est là, j’en conviens, un bien léger grief, un bien imperceptible symptôme un opéra-comique qu’on applaudit trop, des artistes qu’il suffirait d’encourager et que l’on couronne ! Qu’on y prenne garde pourtant, ce manque de sincérité et de franchise, cette vérité que tout le monde pense et que personne ne dit, ce parti pris de complaisances intéressées ou d’officieux mensonges, méritent de figurer parmi les travers contemporains. Il y a là, dans la littérature, dans l’art, ou même dans des régions plus sérieuses, un obstacle réel à tout salutaire retour. La conscience publique, produit et résumé de toutes ces consciences flexibles ou énervées, s’affaiblit et se déconcerte en face de ces perpétuels compromis du vrai avec le faux, du mal avec le bien. Que penser de tous ces jugemens, de tous ces éloges qui ne disent rien à force de vouloir trop dire ? Où est le succès ? où est la chute ? Ici l’on vante, comme chef-d’œuvre d’agencement et de contexture, cet indigeste drame d’Urbain Grandier, centième édition de ce drame unique dont on connaît maintenant tous les ressorts. Là, on ressuscite, avec panégyriques obligés, cette ignoble figure de Vautrin, frère cadet de Robert Macaire, erreur d’un talent qui a eu trop souvent le tort de se montrer plus persévérant dans ses défauts que dans ses qualités. Plus loin, on décerne un double brevet de martyr et de génie à l’auteur de ce Diogène, où la vérité historique est traitée avec un sans-façon trop moderne pour être réellement athénien. Toujours l’éloge de convention, le qui trompe-t-on ici ? de Basile, s’étendant à tous les objets dont on parle ! Ces accommodemens, ces concessions, ces subterfuges, sont d’un mauvais exemple ; ils entretiennent dans la société une sorte de nonchalance railleuse, de scepticisme ironique et dissolvant, qui, des sujets où l’erreur ne blesse que l’imagination et le goût, passe aisément à ceux où elle compromet la morale et la sécurité publiques. Que la critique y réfléchisse ! Tout est péril dans les momens de péril, et l’homme sérieux