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inquiets des distractions plus immédiates et plus puissantes ? La musique échappe-t-elle aux disgraces de la poésie, parce qu’elle est plus vague, parce qu’elle offre l’imagination et à la pensée des formes moins précises, des perspectives plus flottantes, une sorte de terrain commun où un même plaisir absorbe et efface toutes les dissidences ? Ce qui est positif, c’est que le monde musical ne perd rien encore ni de son mouvement, ni de ses fêtes. Une attention sympathique était acquise d’avance au volume que vient de publier M. Scudo sous le titre de Critique et Littérature musicales. Ce titre indique très bien la tendance générale du livre, qui est à la fois très compétent et très littéraire. M. Scudo n’est pas de ces critiques, obstinément renfermés dans leur spécialité minutieuse, et qui, rabaissant la musique aux conditions d’un mécanisme matériel ou d’une science, technique, craindraient de se perdre dans les nues, s’ils donnaient à leurs sèches analyses un horizon un peu plus élevé ou un cadre un peu plus large ; mais il sait se préserver aussi de cette orgueilleuse manie de notre temps, qui, sous prétexte de généraliser et d’agrandir : le cercle des connaissances humaines, confond les notions les plus diverses ou les plus contraires, rattache chaque variation ou chaque caprice de l’art à je ne sais quel plan métaphysique ou social qu’elle a soin de laisser dans l’ombre, et chercherait volontiers dans une cavatine ou une sonate, la solution, d’un problème de philosophie ou de politique. M. Scudo. semble dire à l’art qu’il cultive et qu’il aime : Ni si haut, ni si bas ! Chez lui, la critique musicale s’allie, quand il le faut, à l’impression poétique ou même à l’aperçu métaphysique, mais avec sobriété et mesure, comme ces accompagnemens ingénieux et discrets qui secondent la mélodie, sans jamais l’assourdir ou l’étouffer. Ce que M. Scudo cherche sous toutes les formes et dans toutes les écoles de musique, allemande, italienne ou française, c’est ce sentiment du beau, cet idéal qui plane au-dessus de toutes les querelles d’école ou de système, comme la blanche hirondelle des mers au-dessus des flots noirs et agités. Cet idéal, il le poursuit avec amour, il le proclame avec ferveur à travers les générations successives de compositeurs, de Cimarosa à Rossini, de Haendel à Weber, de Rameau à Méhul ; et s’il rencontre sur son chemin quelque prétendu révélateur, quelque révolutionnaire superbe dont les prétentions bruyantes font dissonance dans l’harmonieux concert, il l’immole sur l’autel des vrais dieux avec une verve de sacrificateur qui attendrit parfois sur le sort de la victime.

Un des nombreux mérites de ce livre de M. Scudo, c’est l’indépendance, qualité de plus en plus rare, que la littérature et la musique devraient bien s’enseigner l’une à l’autre, car toutes deux, sous ce rapport, auraient beaucoup à apprendre. Il suffit d’assister à une première représentation de l’Opéra-Comique, pour reconnaître tout ce qu’il y a aujourd’hui de convenu dans un succès, et combien le vrai public ou la vraie critique ont peu de part dans la lutte et dans le triomphe. On dirait parfois une fête de famille ou de collège, où les couronnes sont tressées d’avance et les applaudissemens arrangés comme un programme, a la satisfaction générale des parens et des maîtres. Assurément M. Ambroise Thomas est un compositeur distingué : nous doutons cependant que sa partition nouvelle, le Songe d’une nuit d’été, ajoute beaucoup à la réputation méritée que lui ont faite la Double Échelle et le Caïd. Ce titre