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où tout s’émoussait sous le doigt brutal des révolutions, c’est que nul n’a mieux saisi la nuance que nous venons d’indiquer ; c’est que, tout en restant fidèle aux lettres, il a compris que, dans le combat qui allait se livrer, toute place était bonne pour tirer sur les sophismes et les mensonges, pourvu que le coup d’œil fût juste et la main prompte ; c’est qu’il a prévu que la vérité, le bon sens, la conscience publique, le respect du malheur, les lois de la morale, de la raison et du goût, semblables aux dieux exilés de l’Olympe, sauraient payer l’hospitalité partout où ils la recevraient, fût-ce dans un de ces abris frivoles où l’on ne cherche d’ordinaire que l’amusement et le sourire.

Cette attitude si honorable, qui a renouvelé et rajeuni, dans ces derniers temps, le rôle littéraire de M. Janin, nous la retrouvons, mais en un cadre agrandi et avec des conditions nouvelles d’éclat, de précision et de durée, dans la Religieuse de Toulouse[1]. Dès les premières pages de sa préface, on comprend sans peine le sentiment auquel il a cédé en se dérobant au triste et humiliant spectacle de nos discordes, pour se renfermer dans un sujet également attrayant pour l’érudit, le critique et le penseur, et qui, le reportant vers une époque riche de grands souvenirs, et déjà troublée par des querelles religieuses, préludes d’autres querelles, lui permettait à la fois de s’isoler du présent et de le rattacher au passé. Cette préface, où l’auteur nous raconte comment il a été amené à écrire son livre dans un moment si peu favorable en apparence aux recherches patientes, aux labeurs studieux et paisibles, est devenue sous sa plume un noble et attendrissant hommage aux trente années de bonheur et de paix auxquelles nous avons été si violemment arrachés. M. Janin l’évoque, avec une ampleur et une élévation de style qui rappellent le paulo majora de Virgile, toutes les belles espérances que l’homme jeune et enthousiaste rencontrait alors en entrant dans la vie, et qui se sont si vite desséchées au souffle de nos tempêtes. Mieux inspiré que beaucoup d’autres, il ne cherche pas à établir entre les deux gouvernemens qui se sont succédé pendant ces années heureuses des distinctions et des barrières effacées aujourd’hui par l’égale légitimité de nos regrets ; il s’efforce au contraire de les associer et de les unir dans cette pieuse offrande, des deux parts consacrée et ennoblie par le malheur et l’exil. Convenons que cette fois les lettres ne se sont pas trop mal acquittées de leur rôle d’auxiliaires, et que si l’on a pu souvent les accuser de donner de mauvais conseils à la politique, elles savent parfois prendre leur revanche.

Qu’est-ce maintenant que ce livre, la Religieuse de Toulouse ? C’est l’histoire de cette comtesse de Mondonville qui fonda la maison des Filles de l’Enfance, et mérita d’être comprise dans les proscriptions qui frappèrent les adhérens et les annexes de Port-Royal. Jeanne de Julliard, une des plus nobles et des plus belles personnes du Languedoc, est recherchée en mariage par le marquis de Saint-Gilles et par M. de Ciron, cadet d’une famille de robe. M. de Saint-Gilles est un misérable dont Jeanne devine la scélératesse ; M. de Ciron est un amant sincère et timide, qui se fait aimer, mais pas assez pour subjuguer l’ame impérieuse et altière de Mme de Julliard. Par esprit de commandement, dans l’espoir de dominer un mari beaucoup plus âgé qu’elle, elle épouse le comte de Mondonville.

  1. 2 vol. in-8o, chez Michel Lévy, rue Vivienne.