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M. Leclerc, de son côté, représentait par sa vie tous les bons instincts de la vraie société, le courage, l’honneur, la probité, la vie laborieuse et paisible, le respect du devoir, la bonne et simple morale, le bien toujours accompli, et le bruit du bien toujours évité comme un misérable et vaniteux superflu. Jamais la lutte entre le final et le biais, entre Arimane et Oromaze, n’avait été mieux caractérisée. Dernier contraste enfin et bien expressif, le socialisme égalitaire a pris pour candidat un écrivain dont les écrits ont été pendant long-temps aristocratiques d’intention, sans jamais, il est vrai, être distingués et de bon goût, dont la vie, dit-on, a gardé les plus raffinées habitudes du luxe, le renégat d’un monde et d’une société dont il a été le flatteur et le flatté, le courtisan et le courtisé, mais où il n’a jamais été un des leurs, ce qui était peut-être si grande prétention. La société au contraire, qu’on accuse de viser à l’aristocratie et d’être entachée d’idées hiérarchiques, avait pris pour son représentant un simple garde national qui a risqué sa vie et vu périr un de ses enfans pour la défense de l’ordre social. Elle faisait en bien et pour l’affermissement du salut public ce que les politiques de la montagne voulaient faire en mal et pour la désorganisation de l’armée. Si on met ces dieux candidatures en présence, celle de M Sue et celle de M. Leclerc, quelle était, nous le demandons, la plus sincèrement et la plus honnêtement démocratique ? Et que penserait un étranger qui verrait d’un côté M. Sue, ses ouvrages, ses habitudes, son genre de vie, et auquel on dirait : Voilà le représentant du parti égalitaire ! et, d’un autre côté, M. Leclerc, simple marchand de papier, simple garde national, et auquel on dirait : Voilà quel était le candidat du parti aristocratique ? Encore faudrait-il ajouter que ce candidat démocratique avait été préféré par le parti de l’aristocratie a un ancien pair de France, à un homme qui porte un des plus beaux noms du pays. Ne nous y trompons pas : c’est la vraie démocratie, qui a été vaincue par la fausse, la démocratie laborieuse et paisible par la démagogie aventurière, et nous aimons mieux, pour notre part, avoir été vaincus sur M. Leclerc que sur M Fernand Foy, sur l’homme du vrai peuple que sur l’ancien pair de France. L, leçon est plus significative, et l’avertissement est plus solennel. Il ne s’agit plus de la république, car le choix de M. Leclerc n’était pas assurément un choix anti-républicain ; il s’agit donc de la société. Personne dans le parti qui a voté pour M. Leclerc ne repousse la république compatible avec l’ordre social. C’est la république seulement du 24 juin 1848 que nous repoussons, et s’est celle-là qui vient de triompher à Paris le 10 mars et le 28 avril.

Les débats parlementaires de la quinzaine ont été inaugurés, par un vote excellent de l’assemblée. Elle a, sur la proposition de M. Morin, supprimé l’allocation qui était attribuée, à titre de récompense nationale, aux condamnés politiques. Concevez-vous, en effet, rien de plus bizarre qu’une pareille allocation ? Voici un pays qui a des lois, et des tribunaux, et, quand les lois sont enfreintes, les tribunaux condamnent ceux qui les enfreignent ; mais le même pays a dans son budget un chapitre consacré à la glorification de ces condamnés. Et pourquoi ? C’est que ce sont des condamnés politiques. — Mais si les actes qu’ont commis ceux que vous traduisez devant vos tribunaux ne sont pas criminels parce qu’ils sont politiques, pourquoi les condamnez-vous ? Et si vous les condamnez, pourquoi plus tard les récompensez-vous ? Y a-t-il chose au monde