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attendre que les bénédictions muettes des honnêtes gens et des bons coeurs. Mais les bons cœurs ne crient guère ; à Angers pourtant, ils ont crié, surtout quand ils ont vu quelques malveillans crier avec affectation : Vive la république ! Cela a indigné les honnêtes gens, et il y avait de quoi ; aussi d’immenses acclamations ont salué le président jusqu’à son départ pour Paris.

Il faut rendre justice à la méchanceté de nos jours ; elle est grande, mais elle est bête. Qu’est-ce, en effet, autre chose qu’une bêtise, mais une bêtise méchante, que d’insinuer que le gouvernement a bien pu oxider de dessein prémédité les chaînes du pont suspendu d’Angers, afin d’amener la mort d’un bataillon entier de soldats ? Ces soldats avaient peut-être mal voté dans les dernières élections ; on les a punis en les noyant. Voilà, Dieu nous pardonne, ce qui s’imprime ! Espère-t-on le faire croire ? Oui, les méchans seuls savent jusqu’où va la superstition de la haine. On dit qu’il y a du vin pour tous les palais, pour les plus rudes comme pour les plus délicats ; il y a de la calomnie aussi pour toutes les intelligences, pour les plus grossières comme pour les plus fines.

L’affaire la plus importante de la quinzaine est la candidature de M. Leclerc à la place de M. Fernand Foy. Pourquoi M. Fernand Foy a-t-il été écarté ? Pourquoi les décisions de l’union électorale ont-elles été rejetées ? Nous n’avons aucune envie de faire ici l’histoire psychologique des diverses nuances du parti modéré pendant cette quinzaine. Nous sommes trop heureux que beaucoup de petits sentimens aient abouti à un sentiment public qui a été noble et généreux, et que le nom de M. Leclerc soit devenu le mot de ralliement du parti modéré. La défaite que le parti modéré vient d’éprouver sur le nom de M. Leclerc ne change en rien notre opinion. Le nom de M. Sue l’a emporté dans le scrutin sur le nom de M. Leclerc ; mais nous trouvons que ces deux noms si singulièrement rapprochés expriment à merveille les intentions et les destinées des deux sociétés qui luttent l’une contre l’autre, et nous ne nous plaignons pas du symbole que nous avions choisi, quoiqu’il n’ait pas réussi. Nous avons toujours pensé que la littérature malfaisante des vingt dernières années enfanterait tôt ou tard une politique analogue. L’enfantement a eu lieu. Le socialisme est en politique ce que le romanesque d’un certain genre, est en littérature. La société du Juif Errant et des Mystères de Paris, les individus livrés sans frein aux emportemens de leurs passions à travers les aventures misérables que crée la licence des mœurs, ou les événemens impossibles qu’entasse l’imagination de l’auteur, l’ordre rétabli de temps en temps par un personnage qui est riche, qui est fort, qui est puissant, tout cela est plus ou moins la société que veut réaliser le socialisme, qui n’exclut même pas, on le sait, l’idée d’un dictateur, lequel, sous le nom d’organisateur général, préside au chaos, sous prétexte de créer le monde. Dans les romans cette société est une fiction absurde ; mais quand la fiction veut devenir une réalité, c’est pour la société une torture insupportable. Elle souffre alors et s’indigne de ce qui l’amusait autrefois. Grace au courage de l’armée et de la garde nationale, grace au sang généreux versé par les bons citoyens, dont M. Leclerc était aujourd’hui le représentant comme il en fut l’héroïque compagnon au mois de juin, 1848, le roman immonde et brutal du socialisme n’est pas devenu la société mais voici qu’aujourd’hui, faisant droit pour ainsi dire à ses origines, le socialisme