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dans ce titre général que la foule des inférieurs, di minores ; mais n’est-il pas encore trop sévère ? Nous nous serions contenté de dire, avec force ménagemens et pas mal de formes, que souvent leurs caprices ont des résultats désastreux ; que lorsque, pour se faire remarquer plus vite, ils tendent et concentrent tout leur talent sur un paradoxe, que lorsque, pour faire du bruit, ils crient dans la rue au voleur, à l’assassin, ils attirent une trop grande foule, et font payer trop cher aux malheureux passans les frais de leurs spirituelles plaisanteries. Nous nous serions contenté de dire que, de notre temps, toutes les ; fois qu’un journaliste a mal digéré et se trouve avoir par conséquent l’humeur acariâtre, la société est en danger ; que toutes les fois qu’un bachelier ès-lettres a la migraine, il s’écrie : Ah ! que ’la société me fait du mal ! – Quant aux avocats, nous les abandonnons très volontiers ; nous sommes plus désintéressé dans la question, car nous sommes vis-à-vis d’eux dans la même situation que notre humoriste vis-à-vis de la nation française tout entière.

Il ne s’agit ici que de la France ; mais, si le puritain anglais parlait de l’Angleterre, n’aurait-il donc pas quelque chose à dire aussi ? Si nous n’avons pas sentiment de la réalité, ne l’ont-ils pas un peu trop vif peut-être ? ne font-ils pas servir trop souvent cette connaissance des faits à leur intérêt, et cet amour des Français pour la nouveauté, ces passions subites, les Anglais ne les ont-ils pas exploités à leur profit ? ne les ont-ils pas employés à l’accomplissement de leurs haines ? Une révolution est facile en France, ce n’est pourtant pas une raison pour la tarifer d’avance. Dans un passage de ce journal, passage que nous n’avons pas cité, on lit ces mots : « C’est une chose triste à dire, dans cette ville qui a été agitée par tant de grands esprits, dans cette ville où ont vécu et combattu Calvin et Bossuet, Voltaire et Mirabeau, un jour on s’est battu avec une rage inconnue jusqu’alors pour savoir si le gouvernement appartiendrait à M. Marrast du National ou au grand Icar. » Eh ! oui, sans doute cela est triste ; mais il est : plus triste encore de profiter de ces querelles, quitte à s’en moquer ensuite, et d’exciter la révolution, quitte à regarder flegmatiquement un grand pays se suicider.


EMILE MONTEGUT.