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esprits éminens quelque chose d’analogue à ce qu’un profond penseur anglais, Thomas Carlyle, définit le culte des héros. Comme Carlyle, les écrivains slaves ont toujours cru à la mission divine des supériorités ; ils ont toujours envisagé le respect des grandes individualités comme la condition première de vie et de grandeur pour toute société : toujours ils ont pensé que les machines constitutionnelles sont des engins inutiles sans la puissance et l’adresse des bras qui les font mouvoir. « Ce qui empêchait de dormir le plus célèbre des Athéniens, dit M. Mickiewicz, ce ne fut pas un livre, ni un récit, ni une idée ; ce fut Miltiade, un idéal devenu homme. César ne pleurait pas en lisant des livres : ce sont des hommes oisifs qui versent des larmes sur des livres. — César pleurait devant la statue d’Alexandre. »

Ce culte du héros aboutit nécessairement ou à la royauté élective ou au consulat viager. Ainsi en est-il arrivé presque constamment chez les Polonais depuis les commencemens de leur histoire jusqu’au règne de Poniatowski, et telle est aujourd’hui la constitution du pouvoir suprême chez les Serbes. En matière de gouvernement, les Serbes se placent à une égale distance de la monarchie héréditaire et de la présidence limitée des républiques.

Bien que les Slaves reconnaissent au héros chef de l’état une autorité très vaste, ils ne confondent pourtant pas absolument le pouvoir législatif avec le pouvoir exécutif. Le chef élu de l’état ne peut faire les lois que d’accord avec le pays. À la vérité, les Slaves ne sont pas possédés du besoin funeste aux peuples de l’Occident de faire des lois à tout propos, sur toute matière. Les rapports sociaux sont chez eux plus simples. Le pouvoir législatif ne prend point dans leurs imaginations toute l’importance qu’il a chez nous. Il existe cependant et il réside à la fois dans les représentans de la nation et dans le pouvoir exécutif. Les représentans de la nation sont choisis comme les administrateurs de la commune par les pères de famille dont elle est formée. Quiconque n’est pas dans ces conditions ne compte pas encore dans la société ; la famille est la base du droit politique comme du droit communal. Le slavisme a-t-il résolu par ce moyen le difficile problème du droit électoral ? En préférant le principe de la famille au principe rationnel de la capacité déterminée par la science ou au principe matérialiste de la fortune, il a donné du moins à l’élection un caractère profond, simple et moral. La famille est une idée concrète, saisissable ; c’est l’élément premier et constitutif de toute association humaine ; c’est le germe de la race et de la nationalité comme de la commune. Il était naturel d’en faire aussi le premier rouage de la machine gouvernementale.

Les représentans du pays, ainsi désignés par le vote direct des pères