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de secours en faveur des veuves, des orphelins et des paysans qui ont besoin de se procurer les instrumens de culture. L’assistance publique est ainsi régularisée ; l’esprit de solidarité et de justice qui règne dans les communes la rend facile ; elle est en quelque sorte privée en même temps que publique ; l’être abstrait que l’on appelle état, et dans la vie duquel souvent les individus ne se sentent pour rien, l’état n’intervient pas. Lorsque l’autorité municipale prête ou donne, elle sait qu’elle le fait au nom des familles qu’elle représente, et quiconque emprunte ou reçoit comprend de même qu’il est l’obligé de la communauté. L’abstraction, mortelle au sentiment, ne vient pas dessécher les coeurs.

Si ces institutions communales qui sortent naturellement de la civilisation slave, et qui, çà et là, se produisent avec une admirable vigueur, si ces heureuses municipalités faisaient partie d’un système politique plus parfait, et n’étaient pas dénaturées, en Russie surtout, par l’immixtion des principes de despotisme, de conquête ou d’aristocratie, elles porteraient les plus heureux fruits, elles donneraient aux sociétés slaves une originalité, une fécondité merveilleuses. Par malheur, il n’est au monde que la petite principauté de Serbie qui ait pu se constituer politiquement d’après ces principes de liberté et de démocratie : c’est le seul endroit où les traditions slaves aient pu se produire à peu près à leur aise ; mais ce n’est qu’une Slavie en miniature ; et partout ailleurs la commune slave, assez vivace pour avoir pu traverser bien des siècles et bien des régimes, gémit cependant sous le poids ou d’une souveraineté illimitée ou d’une conquête étrangère.

Quant à l’état slave, nulle part encore il n’a pu se constituer dans sa plénitude ; il n’existe pas dans la réalité ; nous sommes réduits à le chercher dans les livres. En revanche, les écrits des slavistes expriment à chaque page la pensée qui lui doit servir de fondement, la nationalité. Ce mot de nationalité offre matière à controverse. Pour éviter toute confusion, il faut distinguer deux sortes de nationalités : celles qui se sont formées par un développement historique, par l’immixtion et l’assimilation successive de plusieurs races, et celles qui résultent du développement libre d’une même race. L’unité de langue en est la marque distinctive. La nationalité ainsi comprise est, suivant les slavistes, le seul légitime fondement de l’état. Par là, ils menacent à la vérité toute agrégation de peuples basée sur le principe de la conquête, et, en ce sens, ils sont révolutionnaires. À ce principe de conquête ils en substituent toutefois un autre qui devient essentiellement conservateur, et qui rend à jamais impossibles de nouvelles guerres territoriales. Le jour, en effet, où l’Europe serait constituée sur ce principe de nationalité et de race, le malaise qui l’agite jusque dans ses entrailles disparaît, et fait place à une harmonie internationale nouvelle dans l’histoire de l’humanité.