Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esprit à la connaissance de Dieu. Suivant la plupart des slavistes, la méthode rationnelle n’a jamais produit et ne peut, en effet, produire que des systèmes sans fonder des croyances ; elle ne s’élève à Dieu que par des voies incertaines ; encore, la plupart du temps, ou elle échoue en chemin, ou elle s’égare dans les plus bizarres hypothèses. Les slavistes portent dans cette doctrine des idées si absolues, qu’ils placent la raison spontanée au-dessus de la raison réfléchie jusque dans le domaine des sciences physiques. Le même principe de la spontanéité, qui donne seul, selon eux, la connaissance des choses divines, est aussi le principe générateur de toutes les grandes découvertes scientifiques.

« Eh quoi ! dit un poète chez qui une regrettable exaltation mystique n’a pas toujours étouffé la vive intelligence de l’idée slave, eh quoi ! la science apprise, incapable, comme elle l’avoue elle-même, de gagner des batailles, de créer des codes, de produire des chefs-d’œuvre, et même d’inventer une seule expression heureuse (pour tout cela, il faut du génie), cette science apprise se croirait en état d’arriver à la plus sublime des découvertes, de trouver la plus grande des choses, une nouvelle loi morale, une nouvelle synthèse enfin, comme on dit dans l’école ! » Les slavistes, dont M. Mickiewicz est ici l’éloquent interprète, ne reconnaissent pas à la raison réfléchie ce pouvoir créateur ; il ne réside, suivant eux, que dans l’inspiration et le génie, c’est-à-dire dans la spontanéité, dans la révélation. Le slavisme est donc essentiellement religieux. Pendant que les peuples de l’Occident font chaque jour de nouveaux progrès dans le rationalisme et s’accoutument davantage à écarter de la vie sociale et du foyer domestique un Dieu qui ne leur apparaît plus que sous la forme d’une abstraction, les Slaves, au contraire, s’attachent avec toute l’ardeur de la foi au Dieu vivant et personnel.

Mais ce Dieu, où réside-t-il en ce monde ? où est son temple ? Les Slaves en voient encore au moins l’ombre dans les églises chrétiennes, et, déplorant l’inaction dans laquelle ces églises se renferment, ils voudraient qu’elles pussent reprendre, avec leur antique énergie, la place qu’elles occupaient et remplissaient dans l’existence des sociétés et des hommes du temps passé. L’auteur anonyme du Rêve de Cesara et de la Comédie infernale, celui de Venceslas, ont jeté une éclatante lumière sur ce côté du slavisme. Le dénoûment de chacune de ces œuvres, c’est la glorification du Christ mêlée d’une amère et douloureuse critique de ce que M. Mickiewicz appelle l’église officielle. La science moderne y est représentée comme puissante seulement pour la destruction. Assez forte pour ruiner un passé qui ne se soutient plus et ne sait plus se défendre, elle échoue sitôt qu’elle se pose à son tour l’énigme de la destinée. Elle a pulvérisé les vieilles formules, mais elle s’use en vains efforts dans la recherche de la formule