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pour prendre bientôt le dessus. De là vint le bouleversement du système d’équilibre européen, qu’on eût pu nommer le système français, et son abandon pour des rêves de monarchie universelle renouvelés de Charles-Quint et de Philippe II. De là une suite d’entreprises formées au rebours de la politique du pays, telles que la guerre de Hollande, les brigues faites en vue de la couronne impériale, l’appui donné à Jacques II et à la contre-révolution anglaise, l’acceptation du trône d’Espagne pour un fils de France gardant ses droits à la couronne[1]. Ces causes des malheurs sous lesquels faillit succomber le royaume sortirent toutes de l’événement applaudi par la nation, conforme à l’esprit de ses tendances, qui, après que la royauté eut atteint, sous deux ministres, son plus haut degré de puissance, la remit, absolue, aux mains d’un prince doué de qualités à la fois brillantes et solides, objet d’affection enthousiaste et de légitime admiration.

Lorsque le règne qui venait, sous de tels auspices, couronner la marche ascendante de la monarchie française eut démenti l’immense espoir que ses commencemens avaient fait naître, lorsqu’on eut vu, au milieu de victoires stériles et de revers toujours croissans, le progrès dans toutes les branches de l’économie publique changé en détresse, la ruine des finances, de l’industrie et de l’agriculture, l’épuisement de toutes les forces du pays, l’appauvrissement de toutes les classes de la nation, la misère effroyable du peuple, un amer dégoût s’empara des ames et y remplaça l’enthousiasme de la confiance et de l’amour[2]. Qu’y avait-il sous ce grand et douloureux mécompte dont l’empreinte se montre si vive dans les documens contemporains ? Ce n’était pas simplement l’espérance humaine trompée par un homme, c’était l’épreuve décisive d’une forme d’état préparée de loin par le travail des siècles, au profit de laquelle toute garantie de liberté politique avait été détruite ou abandonnée, et dont la masse nationale avait favorisé le progrès comme étant le sien propre. Que la société française eût conscience de la nature et des profondeurs de la crise dont son affaissement

  1. « Par des lettres-patentes données en décembre 1700, Louis XIV conserva au duc d’Anjou, devenu roi d’Espagne sous le nom de Philippe V, son rang d’héritage entre les ducs de Bourgogne et de Berry. Voyez, sur cet acte et sur l’acceptation du testament de Charles II, l’ouvrage de M. Mignet : Négociations relatives à la succession d’Espagne, Introduction, pages LXXVI et suiv.)
  2. « Cependant vos peuples que vous devez aimer comme vos enfants, et qui ont été jusqu’ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée ; les villes et la campagne se dépeuplent ; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent, vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre état, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au dehors. » (Lettre de Fénelon à Louis XIV, 1692 ou 93, Œuvres choisies, t. II, pages 417 et 418.) - Voy. la Dime royale de Vauban, collection des principaux économistes, t. Ier, page 34.