Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

population d’hommes tels qu’il les voulait pour ses plans, d’hommes actifs, probes, instruits, versés dans l’industrie et le commerce, et attachés à ces professions par la malveillance même qui les écartait graduellement des fonctions publiques. Tant que dura l’influence de Colbert dans les conseils de Louis XIV, la raison du roi fut tenue en garde contre les suggestions du clergé catholique et contre ses propres désirs[1] ; mais, sur ce point comme sur bien d’autres, le vertige du pouvoir absolu commença dès que la faveur se fut détournée de l’homme de génie. C’est ainsi qu’à la captation exercée pour ramener les dissidens succéda l’emploi de la contrainte, et qu’après les peines portées contre le repentir des nouveaux convertis vint l’entière abolition de la liberté de culte et de conscience. L’immortel édit de Henri IV, confirmé et juré par Louis XIII en 1629, fut révoqué par Louis XIV le 17 octobre 1685[2], date qui reste au nombre des plus tristes souvenirs de notre histoire. On sait quel effroyable coup cet acte violent et ses suites portèrent à la civilisation et à la fortune de la France, par quelle émigration d’ouvriers, d’inventeurs, de négocians, de marins, de capitalistes, l’avantage que nous avaient donné sur nos rivaux d’industrie les établissemens de Colbert fut presque entièrement perdu[3].

En 1685, il y avait déjà près d’un siècle que la France, devançant à cet égard les autres peuples chrétiens, était entrée dans les voies de la société nouvelle qui sépare l’église de l’état, le devoir social des choses de la conscience et le croyant du citoyen. Sous le régime de l’édit de Nantes, le principe légal en matière de religion, ce n’était pas la simple tolérance, mais l’égalité de droits civils entre catholiques et réformés, mais la reconnaissance, et, sauf quelques réserves, la pleine liberté des deux cultes. Nous étions en cela supérieurs à l’Europe, soit

  1. « Quant à ce grand nombre de mes sujets de la religion prétendue réformée qui était un mal que je regarde avec douleur, il me sembla, mon fils, que ceux qui vouloient employer des remèdes violens ne connoissoient pas la nature de ce mal, causé en partie par la chaleur des esprits qu’il faut laisser passer et s’éteindre insensiblement, au lieu de l’exciter de nouveau par des contradictions aussi fortes… Je crus que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume étoit en premier lieu de ne les point presser du tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu’ils avaient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au-delà, et d’en renfermer même l’exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvoient permettre. Quant aux graces qui dépendoient de moi seul… » (Mémoires de Louis XIV, écrits vers l’année 1670 ; Œuvres, t. Ier, pages 84. et suivantes.)
  2. Voyez l’édit portant révocation de l’édit de Nantes, Recueil des anciennes lois françaises, t. XIX, page 530.
  3. Voyez l’ouvrage de Rulhières, intitulé : Éclaircissemens historiques sur les causes de la révocation de l’édit de Nantes ; le tome II de l’Histoire de madame de Maintenon, par M. le duc de Noailles, et les tomes XV et XVI de l’Histoire de France de M. Henri Martin.