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guerre d’invasion que termina le traité d’Aix-la-Chapelle[1], guerre injuste, mais dont l’issue fut heureuse pour le roi et pour la France. Le roi y gagna un renom d’habileté politique et militaire, la France, en acquérant plusieurs villes de la Belgique[2], fit un pas considérable dans les voies de son agrandissement naturel ; mais, dans ce premier coup de fortune, il y eut quelque chose de funeste. Une fois éveillée pour la gloire des armes, la passion chez Louis XIV ne se reposa plus ; elle attiédit en lui le zèle pour les travaux pacifiques ; elle le fit passer de l’influence de Colbert sous celle du conseiller le plus désastreux[3]. Et non-seulement elle le rendit moins occupé de progrès au dedans que de conquêtes au dehors, mais encore, dans les affaires extérieures, elle le détourna de la vraie politique française, de cette politique à la fois nationale et libérale dont le plan avait été conçu par Henri IV et l’édifice élevé par Richelieu.

Quelque embarras qu’on éprouve, comme patriote, à juger rigoureusement la politique d’un règne d’où la France sortit avec ses frontières fixées à l’est et considérablement reculées vers le nord, il faut séparer deux choses dans les guerres de Louis XIV, le résultat et l’intention, les conquêtes raisonnables, qui à ce titre subsistèrent, et les folles entreprises, qui, tendant bien au-delà du véritable but, purent s’y trouver ramenées plus tard, grace à d’heureuses nécessités. La guerre de Hollande, par l’esprit de vengeance qui l’inspira et la manière dont elle fut conduite, eut ce caractère ; si elle produisit les avantages territoriaux obtenus à la paix de Nimègue, ce fut parce que la cour de Madrid, en s’alliant aux ennemis du roi, lui fournit l’occasion d’attaquer de nouveau la Franche-Comté et les Pays-Bas espagnols[4]. Un semblable accroissement de territoire ne résulta point de

  1. Ce traité fut signé le 2 mai 1668. — Voyez sur le droit de dévolution invoqué par Louis XIV à la mort de Philippe IV, roi d’Espagne, et sur les événemens de la guerre de 1667, l’ouvrage de M. Mignet, Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. Ier, 2e partie, sect. 1 et 2 ; t. II, 3e partie, sect. 2. — Les opposans à cette guerre, dans le conseil du roi, furent Colbert et le ministre des affaires étrangères, de Lionne, l’un des plus grands diplomates qu’ait eus la France, négociateur du traité de Westphalie, de la ligue du Rhin et du traité des Pyrénées.
  2. Charleroi, Binch, Ath, Douai, Tournai, Oudenarde, Lille, Armentières, Courtrai, Bergues et Furnes.
  3. Le marquis de Louvois, fils du ministre Letellier, d’abord associé à son père dans le département de la guerre, puis chargé seul de ce portefeuille en 1666.
  4. Le traité de Nimègue fut signé le 10 août 1678 ; la guerre avait commencé en 1672. Par ce traité, la France rendit plusieurs villes qui lui donnaient dans les Pays-Bas une position offensive, notamment Charleroi, Ath, Binch, Oudenarde et Courtrai, qu’elle possédait depuis 1668 ; elle acquit, avec la Franche-Comté, des territoires et des villes importantes dans l’Artois, la Flandre et le Hainault, qui régularisèrent ses limites au nord, et lui firent, à l’aide du génie de Vauban, une puissante ligne de défense. – Voyez sur l’invasion des Provinces-Unies et sur les traités qui la suivirent, le tome IV des Négociations relatives à la succession d’Espagne.