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témoin de ses amours. Elle resta la tête appuyée sur les pieds du Christ, comme un exilé qui retrouve sa patrie, comme un matelot qui rentre au port.

Debout devant elle, Guillaume, les yeux humides de larmes, la regardait en silence. Gothon, à l’écart, du revers de son tablier essuyait ses yeux. Plusieurs heures s’écoulèrent. L’horloge de la maison paternelle sonna ; les oiseaux du jardin chantèrent ; le vent fit gémir les arbres ; au haut du colombier, les tourterelles roucoulèrent ; dans la basse-cour, le coq chanta. Tous ces bruits aimés qui font partie du lieu qui nous vit naître ne purent distraire Marthe-Marie de son recueillement.

Guillaume, le cœur navré, s’éloigna et descendit seul dans le parloir. Il y resta long-temps la tête baissée sur sa poitrine, plongé dans de sombres réflexions, songeant aux objets de ses affections éloignés pour toujours, puis à ceux qui, près de lui, étaient plus absens encore. Tout à coup des pas précipités se firent entendre ; un jeune homme entra et se jeta dans les bras de Guillaume.

— Herbert ! lui dit le vieillard, je vous attendais.

— Christine ! Christine ! s’écria Herbert ; où est Christine ? Monsieur, n’est-ce pas un rêve ? M. Van Amberg me donne Christine… Je revois mon pays, et Christine m’est rendue

— Karl Van Amberg vous la donne, mais Dieu vous la refuse, répondit tristement Guillaume.

Alors Guillaume raconta à Herbert ce qui s’était passé au couvent, ce qui s’était passé dans la maison rouge ; il donna mille détails ; il les redit mille fois sans pouvoir faire comprendre à Herbert la triste vérité.

— Ce n’est pas possible ! répétait l’étudiant avec énergie ; si Christine est vivante, si Christine est ici, au premier mot prononcé par son ami, Christine répondra.

— Dieu le veuille ! s’écria Guillaume ; je n’ai plus d’espérance qu’en vous ; venez, allons la trouver.

Herbert monta rapidement l’escalier ; son cœur avait trop d’amour pour avoir beaucoup de crainte. Christine libre, c’était pour lui Christine prête à devenir sa femme. Il s’élança vers sa chambre et ouvrit brusquement la porte ; mais le jeune homme, comme frappé de la foudre, demeura immobile sur le seuil de cette porte. Le jour allait finir et ses dernières lueurs éclairaient Marthe-Marie, qui se détachait comme une ombre blanche au milieu de l’obscurité du reste de la chambre. Elle était encore à genoux, la tête appuyée sur les-pieds du Christ, et toute sa frêle personne perdue dans les plis de ses vêtemens de novice.

Elle n’entendit pas la porte s’ouvrir.

Herbert la regarda long-temps, et un torrent de larmes s’échappa de