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Herbert. Tu n’es plus une riche héritière : Ton père parti, un vieillard comme moi n’était pas un soutien dont la protection pût durer bien long-temps ; ton père a consenti à tout ce que je demandais ; il t’envoie, comme adieu, ta liberté et la permission d’épouser Herbert…. Christine, tu es libre, et Herbert attend sa femme….

Les longs voiles de la novice vacillèrent comme si les membres qu’ils cachaient eussent tremblé un peu ; elle resta quelques secondes sans parler, puis elle répondit :

— Il est trop tard ; je suis la fiancée du Seigneur !

Guillaume jeta un cri de douleur. Il regarda avec effroi l’immobile jeune fille qui se tenait droite devant lui.

— Christine, s’écria-t-il, tu… tu n’aimes plus Herbert ?

— Je suis la fiancée du Seigneur ! répéta la novice les mains jointes sur sa poitrine, les yeux levés vers le ciel.

— O mon Dieu, mon Dieu ! s’écria Guillaume en pleurant, mon frère a tué cette enfant ! son ame a été triste jusqu’à la mort ! Pauvre et chère victime de notre sévérité, dis-moi, Christine, dis-moi, que s’est-il donc passé en toi depuis que tu es ici ?

— J’ai vu prier, j’ai prié. Il y avait de grands silences, je me suis tue ; personne ne pleurait, j’ai essuyé mes larmes ; quelque chose de froid d’abord, puis de doux ensuite a enveloppé mon ame. La voix de Dieu s’est fait entendre, je l’ai écoutée ; j’ai aimé le Seigneur, et je me suis donnée à lui.

Puis, comme fatiguée de tant de paroles, Marthe-Marie se tut et retomba dans ce recueillement intérieur qui la rendait insensible à ce qui se passait autour d’elle. En ce moment, le son d’une cloche se fit entendre ; la novice tressaillit, et ses yeux brillèrent.

— Dieu m’appelle, dit-elle ; je vais prier.

— Eh quoi ! Christine, mon enfant, tu vas me quitter ainsi ?

— N’entendez-vous pas la cloche ? c’est l’heure de la prière.

— Mais, ma fille, mon enfant, je venais pour t’emmener ?

— Je ne sortirai plus d’ici. Adieu, mon oncle, répondit Marthe-Marie en s’éloignant lentement. Au moment d’ouvrir la porte pour quitter le parloir, elle se retourna vers Guillaume ; son regard se fixa sur lui avec une triste et douce expression ; ses lèvres remuèrent comme pour lui envoyer un baiser, puis elle disparut.

Guillaume n’essaya pas de la retenir ; il resta la tête appuyée contre la grille, et de grosses larmes coulèrent le long de ses joues. La cloche tintait toujours, elle lui semblait le glas funèbre de son enfant. Combien de temps resta-t-il ainsi abîmé dans ses réflexions ? Guillaume ne s’en rendit pas compte. Un moment vint où il entendit une voix lui parler : c’était la supérieure qui, enveloppée dans ses voiles noirs, venait de s’asseoir de l’autre côté de la grille.