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une indicible langueur ; un calme profond régnait dans toute sa personne, mais ce calme était si grand, qu’il ressemblait à l’absence de la vie. On eût dit que ses yeux regardaient sans voir, que ses lèvres ne savaient plus s’ouvrir pour parler, que ses oreilles écoutaient sans entendre. La sœur Marthe-Marie était belle, mais d’une beauté inconnue à la terre. C’était un repos infini, c’était un calme immuable qui la rendaient belle.

Le vieillard se sentit troublé jusqu’au fond de l’ame ; les paroles expirèrent sur ses lèvres ; il tendit vers Christine des mains qui ne pouvait l’atteindre. Marthe-Marie essaya de sourire en regardant son oncle ; mais elle resta silencieuse et immobile devant lui.

— O mon enfant ! s’écria enfin Guillaume ; oh ! que tu souffres ici !

Marthe-Marie branla doucement la tête, et la tranquillité du regard qu’elle fixa sur son oncle protestait contre les souffrances qu’il supposait.

— Est-il possible que cinq années aient pu ainsi changer ma Christine ? C’est mon cœur qui te reconnaît, mon enfant, et non mes yeux ! On t’a donc imposé bien des austérités, bien des privations ?

— Non.

— On a donc fait peser sur toi un joug bien dur ?

— Non.

— Tu as donc été malade ?

— Non.

— Alors ton pauvre cœur a trop souffert, il s’est brisé. Tu as beaucoup pleuré ?

— Je ne m’en souviens plus.

— Christine, Christine, es-tu vivante ? ou est-ce l’ombre d’Annunciata qui est sortie de son tombeau ?… O mon enfant, en te voyant, je crois la voir telle que je l’ai vue, étendue sans vie sur son lit de mort !

Marthe-Marie leva ses grands yeux vers le ciel ; elle joignit ses mains et murmura : — Ma mère !

— Christine, parle-moi ! pleure avec moi ! tu m’effraies par ton calme et ton silence… Ah ! C’est que, dans le trouble que j’éprouve, je ne t’ai rien expliqué… Écoute-moi : mon frère Karl, par la banqueroute d’un de ses associés d’outre-mer, a vu subitement sa fortune entièrement compromise. Pour empêcher une ruine totale, mon frère a été obligé de s’embarquer immédiatement pour les colonies. Il est parti, croyant revenir au bout de quelques années ; mais maintenant il ajourne indéfiniment son retour, ses affaires rendent son absence nécessaire. Il a emmené ses deux filles aînées. Moi, trop vieux pour aller le rejoindre, trop vieux pour rester seul, on m’a donné Christine ; mais je n’ai pas voulu de toi, mon enfant, sans la possibilité de te rendre heureuse. J’ai demandé, avec de vives instances, la permission de te marier avec