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changé de rosaire ; mais les murailles de ce couvent, mais le chœur, mais les dalles sur lesquelles elle s’agenouillait depuis tant d’années, mais les compagnes qu’elle regardait quand elle ne leur parlait pas, tout cela était son bien, ses amis, ses liens. Un ordre émanant de l’autorité supérieure vint dire à la religieuse d’aller au-delà des mers, en pays étranger, porter l’appui de son zèle et de sa foi à quelques couvens éloignés, d’y rester toute sa vie, sans songer à revenir sous le toit qu’elle avait choisi. Les murs du cloître n’ont jamais entendu une parole de murmure ; bien plus, les âmes n’y ont pas une seule pensée de révolte. La religieuse se prépara à obéir en silence. Si des larmes voulurent mouiller ses yeux, elle les refoula vers son cœur, et ce cœur était si soumis, que c’était sans lutte violente qu’il ne laissait pas paraître au dehors la tristesse qui pesait sur lui. Bien des mains se tendirent vers celle qui s’éloignait, bien des fronts furent graves, bien des bouches s’entr’ouvrirent, mais Dieu soit avec vous, ma sœur ! furent les seules paroles qui s’échappèrent des lèvres. Le cloître laissa sortir une de ses filles. Celles qui restèrent prièrent ; celle qui partait priait. Les cœurs émus n’eurent d’autre expression pour traduire leur émotion que ces douces paroles : « La volonté de Dieu soit faite ! » Puis les portes se refermèrent ; le calme, l’ordre, le travail, reprirent leur marche accoutumée. On avait obéi avec simplicité et humilité : tout était dit.

— Ma fille, dit la supérieure à Christine, l’exemple de l’abnégation de soi-même, de l’obéissance absolue, n’enseigne-t-il pas à votre ame la résignation ?

Christine garda le silence, mais ce silence n’était pas la soumission de son cœur.

La supérieure ne questionna plus ; parfois seulement elle appelait Christine dans sa cellule, elle la faisait asseoir près d’elle ; elle lui prêtait des livres, puis elle la laissait ou lire ou rêver. Comme dans toutes les cellules, les murs de celle de la supérieure étaient couverts de sentences : c’étaient des voix qui parlaient sans parole. Le petit tabouret de Christine était placé en face d’une muraille sur laquelle on lisait : Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et qui souffrez, je vous soulagerai ! Pendant les longues heures du silence, si Christine levait les yeux, elle voyait cet appel fait à tous les malheureux. Si elle regardait d’un autre côté, ses yeux rencontraient le crucifix de bois ; si elle tournait encore la tête, elle voyait la supérieure agenouillée ; si elle laissait tomber sa tête sur sa poitrine, son livre de prières, ouvert sur ses genoux, frappait ses regards. Parfois, pour se livrer aux pensées de son cœur, Christine fermait les yeux, mais alors la cloche du couvent tintait doucement et disait encore de prier. Quand elle sortait de sa cellule, elle voyait ses compagnes calmes et recueillies la saluer en