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nous chantent, et leurs chants sont purs et doux. Les prières seraient belles, lues seulement par les yeux ; elles sont plus belles encore, chantées par des voix jeunes : un grand calme descend dans nos cœurs, rien ne préoccupe nos pensées, rien de mal ne peut survenir ; nous ne pouvons rien perdre, nul malheur ne peut nous atteindre. Les heures ne seront ni longues ni courtes, elles seront occupées et toujours semblables. Nous obéissons strictement aux ordres du saint qui a tracé pour nous le chemin à suivre pour arriver au ciel. Notre travail est pour les pauvres ou pour notre maison. Il y a des heures d’un grand silence ; mais, quand on a l’habitude du recueillement, on entend Dieu parler quand tout se tait. Nous obéissons, ce n’est pas aux puissances de la terre, c’est à Dieu. Nulle autorité ne dure ici. Dans trois ans, je serai à vos côtés. Nous sommes pauvres, mais chaque jour apporte le pain nécessaire et le vêtement qui préserve du froid. Nous n’avons aucun lien, mais nous sommes toutes sœurs, et c’est parce que nous devons aimer tout le monde qu’on nous défend une seule amitié. C’est pour que notre cœur s’ouvre plus large pour tous nos frères qu’on n’y permet pas le choix d’un seul. Si rien ne nous appartient, si nous ne faisons que passer dans nos cellules, si nous quittons nos livres, nos rosaires pour en prendre d’autres inconnus qui ne nous ont pas encore vues prier, c’est que nous sommes des âmes heureuses cherchant le ciel, et il faut, pour être prêtes au moment du départ, couper d’avance tous les liens qui touchent à la terre. Nous sommes cloîtrées, mais qu’importe l’immensité d’un monde que nous ignorons ? Nos âmes savent bien franchir les murs de ce couvent ; elles ne cherchent pas à suivre les chemins de la terre, elles s’élèvent, elles volent, et vont au ciel trouver et adorer Dieu. Enfin nous sommes calmes, et chaque brebis égarée qui arrive de loin pour entrer sous notre toit dit que le repos n’existe qu’ici, et qu’on ne le trouve en nul lieu parmi les hommes. Toutes nos sœurs sont de bonnes et simples personnes, promptes au travail, douces d’esprit, qui savent sourire après avoir prié, qui sauront vous parler pour vous instruire et vous parler encore pour vous égayer. Allons, sœur Van Amberg, ne raidissez pas votre ame contre l’atmosphère de paix qui règne à l’ombre du cloître ; ne demandez pas impérieusement au Tout-Puissant, qui vous a créée pour le bonheur éternel, de vous prodiguer encore les terrestres bonheurs d’une vie qui, pour lui, fuit comme une minute. Ouvrez votre ame à la foi. La foi est une belle aube qui, commençant à poindre, va continuellement croissant en clarté jusques au plein jour[1].

La supérieure se tut. Christine resta la tête baissée sur sa poitrine ; elle avait écouté, mais sans cesser de pleurer ; son cœur demeurait

  1. Saint François de Sales, Traité de l’Amour divin.