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portent les femmes heureuses et libres ! Oh ! il me semblerait quitter Herbert pour toujours ! il me semblerait mettre entre lui et moi un obstacle éternel ! Oh ! non, non, jamais ! Ma mère, ne descendras-tu pas du ciel pour venir à mon secours ?

— La robe des postulantes n’est pas le vêtement des pieuses femmes qui se sont consacrées à Dieu. Ce vêtement doit être, avant les vœux, changé deux fois encore. La robe que je vous offre est destinée à celles qui veulent essayer la vie du cloître : vous la quitterez et la déposerez au seuil de notre porte, quand cette porte s’ouvrira à votre demande pour vous rendre au monde ; mais nul ne saurait demeurer sous le toit de ce couvent sans porter les insignes qui séparent les serviteurs de Dieu du reste des hommes. Ce n’est point ici une maison d’éducation, on ne peut entrer parmi nous que comme postulante, et, ne devriez-vous rester que quelques mois, il faut suivre la règle et prendre les vêtemens du couvent. Votre père est irrité, que gagneriez-vous à être ramenée en ce moment près de lui ? Essayez de fléchir sa colère par votre soumission ; attendez, espérez, restez ici, on priera pour vous ; nul n’y souffre long-temps.

— O mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Christine, que faire ? que devenir ? N’ai-je pas de place sur la terre ?… n’y a-t-il pas un seul cœur pour me prendre en pitié ? Ces grilles fermées sur moi ne veulent s’ouvrir que pour me rendre à mon père ! Que faire ? grand Dieu, que faire ?

— Obéir et prier, mon enfant, répondit la supérieure. Le temps fera le reste. Ne craignez pas, je vous protégerai.

— Je ne puis prier, s’écria Christine. Le désespoir ne sait pas de prières. Je me révolte contre ma destinée. Je veux être libre d’aimer et de vivre au grand air ; ici, ici je ne puis prier.

La supérieure posa sa main sur les lèvres de Christine.

— Nous prierons donc pour vous, lui dit-elle.

— Ah ! s’écria Christine, si tous mes efforts sont impuissans pour me faire rendre la liberté, il y a dans le monde un être qui souffre comme moi, et qui, lui, saura délivrer la pauvre prisonnière. Herbert m’a dit que rien n’était impossible pour ceux qui aimaient. Herbert viendra à mon secours.

— Herbert est parti pour Batavia, il y fera un long séjour ; de là, il ira plus loin encore : il a quitté la Hollande pour des années sans nombre.

Christine poussa un cri déchirant et resta accablée, puis elle releva vers la supérieure son visage pâle et inondé de larmes.

— Maintenant, dit-elle, tous les lieux me sont indifférens, tous les vêtemens sont les mêmes à mes yeux. Herbert m’a abandonnée, il a consenti à notre éternelle séparation !

Huit jours après, Christine prenait l’habit de postulante ; elle savait