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« Madame la supérieure,

« Je vous envoie votre nièce Christine Van Amberg, et vous demande de vouloir bien me rendre le service de la garder auprès de vous. Mon intention est de lui faire embrasser la vie religieuse ; employez l’influence de vos sages conseils pour y prédisposer son esprit. Des fautes graves commises par cette enfant me forcent à l’éloigner de ma maison, et, dans la vue du repos de sa vie entière, il faut exercer sur elle une surveillance qu’elle ne saurait trouver autre part que dans un couvent. Veuillez, ma chère et vénérée parente, la recevoir sous votre toit ; l’avenir le plus souhaitable pour votre nièce Christine est qu’elle se décide à y rester toujours. Si elle s’informe d’un jeune homme nommé Herbert, vous pouvez lui dire qu’il est parti pour Batavia, et que de là il se rendra à nos autres comptoirs les plus éloignés.

« Je suis avec respect, madame la supérieure, votre parent et ami,

« Karl Van Amberg. »

Cette lettre n’excita chez la supérieure nulle curiosité ; elle n’avait pas encore vu Christine ; elle ne pouvait en ce moment lui parler : c’était l’heure du silence. Après avoir lu ce que lui mandait Karl Van Amberg, qui était un des membres de sa famille, elle détourna ses pensées de ce sujet, et reprit le livre où elle cherchait quelques maximes à méditer. Son ame, ployée depuis long-temps à l’obéissance, se recueillit et revint à de graves pensées. Quand la cloche sonna, la supérieure se rendit au chœur, pria long-temps au milieu des sœurs, oublia l’univers entier, se releva sans savoir si c’était des heures ou des minutes qu’elle avait passées agenouillée devant l’autel, donna le signal de la fin du silence en disant à la religieuse qui l’accompagnait : « Dieu nous bénisse, ma très chère sœur ! » Et, rentrée dans sa cellule, la supérieure envoya chercher Christine Van Amberg.

Christine vint ; ses yeux étaient pleins de larmes, ses joues étaient marbrées, tant elles avaient été effleurées par le mouchoir qui voulait cacher les pleurs de la pauvre enfant ; sa respiration était courte et s’échappait de ses lèvres presque comme un sanglot ; ses membres étaient agités d’un tremblement nerveux ; elle se soutenait à peine, et semblait affreusement souffrir d’ame et de corps.

La supérieure regarda Christine avec un grand étonnement ; jamais elle n’avait vu une créature humaine en proie à une pareille émotion. Son cœur, qui ne s’était pas blasé sur les maux des autres, parce qu’autour d’elle tout était calme, se sentit à l’instant saisi de pitié, et quelques larmes montèrent à ses yeux ; mais ces larmes-là ne ressemblaient pas à celles de Christine, elles étaient douces et semblaient tomber du ciel pour consoler les malheureux.