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existence pour nous deux ! Oh ! l’avenir, qu’il soit long ! Que cet immense univers ait une retraite bien ignorée ou nous oublierons le reste de la terre !

— Herbert, je suis trop heureuse !

— Un jour de cette vie-là, Christine, et mourir vaut mieux, n’est-ce pas ? que vieillir sans avoir connu un pareil jour ! L’amour, voilà la vie véritable, voilà la seconde ame de notre être, l’ame la meilleure, sans laquelle l’autre n’existe qu’à moitié ! Ma bien-aimée, regardez autour de vous, contemplez, admirez avec amour ! Aviez-vous rien vu avant cette heure fortunée où nous regardons ensemble ?

Christine leva ses grands yeux vers le ciel ; elle regarda long-temps tous ces nuages qui passaient, toutes ces étoiles qui brillaient, tous ces rayons qui descendaient vers la terre, et, tandis qu’elle regardait, sa main pressait doucement celle d’Herbert ; mais au milieu de cette douce extase Christine s’écria :

— Voyez donc, Herbert, la voile tombe le long du mât, la brise a cessé ; nous n’avançons plus.

— Qu’importent la voile et la brise ? s’écria Herbert, je vais ramer. Le port n’est pas loin, un vaisseau a l’ancre attend notre arrivée pour voler vers l’autre extrémité du monde.

Herbert prit les rames, et, la tête découverte, les cheveux au vent, il fit marcher le bateau avec la rapidité de l’éclair. Christine, assise en face de lui, enveloppée dans sa mante noire, lui souriait, tandis que ses yeux tout humides restaient fixés sur Herbert ; elle avait avec effort regardé le ciel et toute sa splendeur : ce qui détournait ses yeux des yeux d’Herbert l’attristait ; elle n’avait pas assez vu celui qu’elle aimait ; elle l’avait tant aimé dans l’absence, qu’elle ne pouvait encore se distraire du bonheur de l’aimer en le voyant.

La barque fuyait ; le fleuve, derrière elle, se couvrait d’écume : le jour était loin encore ; tout souriait aux deux fugitifs, qui se regardaient, se taisaient et se laissaient entraîner au gré de l’onde. L’amour, le silence, la nuit, la rêverie, tous les bonheurs qui rendent la vie trop belle, faisaient battre leur cœur.

Tout à coup Christine s’écria :

— Herbert, cher Herbert, n’avez-vous rien entendu ?

Herbert cessa de ramer, se pencha, écouta.

— Je n’entends rien, dit-il, rien que le bruit de l’eau qui frappe le sable du rivage.

Il reprit les rames ; le canot poursuivit rapidement sa course. Christine avait pâli : à moitié levée, le tête tournée en arrière, elle essayait de voir, mais l’obscurité était trop profonde.

— Calmez-vous, me bien-aimée, dit Herbert en souriant à Christine ; l’effroi vous fait entendre des bruits qui ne sont pas ; rien n’est