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— Mon Dieu, s’écria-t-il, moi, j’ai été sévère ; tous, soyez miséricordieux !


Quand M. Van Amberg sortit au commencement du jour de la chambre de sa femme, son visage avait repris l’expression qui lui était habituelle ; sa nature un moment ébranlée, s’était domptée elle-même et retrouvait son niveau. Annunciata avait emporté dans la tombe le dernier cri d’amour, la dernière larme de ce cœur d’airain. Il reparut aux yeux de tous comme le maître, comme le père inflexible l’homme sur le front duquel nul chagrin ne laissait de trace. Ses filles s’inclinèrent sur son passage, Guillaume ne lui adressa pas la parole ; l’ordre et la régularité retinrent dans la maison. Annunciata fut emportée sans bruit, sans cortège. Elle sortit, pour n’y plus revenir, de cette triste demeure où sa pauvre ame en peine s’était agitée jusqu’à la mort ; elle cessa de vivre comme un son cesse de se faire entendre, comme un nuage passe, comme une fleur se fane ; rien ne s’arrêta parce qu’elle n’était plus. Si on la pleurait, on la pleurait tout bas ; si on pensait à elle, on ne le disait pas : son nom n’était plus prononcé ; seulement un peu plus de silence régnait dans l’intérieur de la petite maison rouge, et le regard de M. Van Amberg paraissait à tous plus rigide encore qu’auparavant.

La douleur profonde de Christine obéissait le jour à la volonté de fer qui pesait sur tous les membres de la famille : la pauvre enfant se taisait, travaillait, se mettait à table, elle continuait la vie comme si son cœur n’eût pas été brisé ; mais la nuit, quand elle était seule dans cette petite chambre où sa mère si souvent était venue pleurer avec elle, elle gémissait et laissait un libre cours à tout ce qu’elle avait refoulé au fond de son cœur pendant une insupportable journée ; elle appelait sa mère, lui parlait, lui tendait les bras ; elle eut voulu quitter ce monde pour la suivre au ciel ; elle lui disait :

— Venez me prendre, ma mère ! Loin de vous, loin de lui, je n’ai que faire de vivre, et je n’ai plus peur de la mort depuis que je vous ai vue mourir.

Elle laissait les nuits entières à regarder le ciel ; elle y cherchait Annunciata dans la lueur des étoiles, dans les rayons de la lune ; elle croyait que sa mère allait lui apparaître, et qu’il n’était pas possible qu’elle l’eût vue pour la dernière fois. Elle prêtait l’oreille quand il se faisait un grand silence, espérant que la douce voix tant aimée d’Annunciata allait se faire entendre. Si une feuille remuait sous le vent, son cœur battait à l’étouffer. « La voilà ! » disait-elle ; mais non, le ciel gardait l’ame qui s’était envolée vers lui ; sa voûte immense s’était refermée sur elle ; nulle ombre ne descendait vers la terre, et nulle voix ne venait, comme un chant céleste, suspendre le silence de la nuit.