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eu sur la terre un être vivant qui put demander grâce pour elle… Voilà pourquoi je viens vous parler d’elle, monsieur.

Il y eut un instant de silence. Mme Van Amberg essuya, de ses mains tremblantes, les pleurs qui coulaient sur ses joues, et elle reprit avec courage :

— Cette enfant est bien à plaindre, elle a hérité des défauts que vous blâmez en moi, de tous les mauvais côtés de ma nature ; elle me ressemble fatalement. Ah ! croyez-moi, monsieur, j’ai bien travaillé pour étouffer les germes de cette triste organisation ; j’ai bien lutté, j’ai exhorté, puni, je n’ai épargné ni mes conseils ni mes prières : tout a été inutile. Dieu voulait que je souffrisse cette douleur-là ! Ce que je n’ai pu faire dans un enfant de quelques années, je le puis encore moins vis-à-vis d’une jeune fille ; sa nature ne saurait changer ; elle est a blâmer…. mais aussi bien à plaindre ! Monsieur, Christine aime de toutes ses forces, de toute son ame. On peut mourir d’un pareil amour, et… et… si l’on ne meurt pas, on souffre bien affreusement !… Monsieur, par pitié…. laissez-lui épouser celui qu’elle aime !

Annunciata cacha sa figure dans ses deux mains ; elle attendit avec angoisse que son mari parlât. M. Van Amberg répondit :

— Votre fille n’est encore qu’un enfant ; elle a hérité, comme vous le dites, d’une nature qui a besoin de frein. Je ne veux pas céder au premier caprice qui agite cette tête folle. Herbert n’a que vingt-deux ans, on ne sait rien de son caractère. Il faut à votre fille un protecteur, un guide éclairé ; de plus, Herbert est sans nom, sans fortune, sans position… Jamais l’étudiant Herbert n’épousera une femme qui s’appelle Mlle Van Amberg.

— Monsieur ! monsieur ! reprit Annunciata les mains jointes et avec tant d’émotion quelle respirait à peine, monsieur, ce qui guide le mieux une femme dans la vie, c’est d’être unie à l’homme qu’elle aime ! C’est a sa meilleure sauvegarde, c’est là ce qui lui donne de la force contre tous les évènemens de l’avenir… Je vous en conjure, Karl ! s’écria Mme Van Amberg en tombant à genoux, faites à ma fille une vie facile ! Ne lui rendez pas le devoir pénible ; ne lui demandez pas trop de courage ! Nous ne sommes que de faibles créatures… nous avons à la fois besoin d’amour et de vertu ! Qu’elle ne soit pas dans l’horrible alternative de faire un choix !… Oh ! grace, grace pour elle !

— Madame, s’écria M. Van Amberg, et cette fois un léger tremblement nerveux agitait toute sa personne, madame, votre témérité est grande de me tenir de pareils discours. Vous, vous ! oser parler ainsi !… Rentrez dans le silence, apprenez à votre fille à ne pas hésiter dans son choix entre le bien et le mal. Voilà ce qu’il vous faut faire, et non pleurer à mes pieds avec d’inutiles paroles.

— Oui, c’est téméraire, monsieur, de vous parler ainsi. Où puis-je