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le dit qu’à celle qui le sait. Ma mère, j’aime Herbert… Herbert est venu loyalement demander ma main à mon père, qui, pour toute réponse, a souri avec dédain. Depuis lors, on a éloigné Herbert, il m’a fallu essayer de vivre sans le voir. Je n’y ai pas réussi. J’ai fait bien des neuvaines sur le rosaire que vous m’avez donné. Je vous avais vue prier en pleurant, mère, et je me suis dit : Voilà que je pleure comme elle, il me faut aussi prier comme elle ; mais il arriva qu’aux premiers rayons du jour, je vis une fois de loin une petite barque descendre le fleuve, puis remonter pour descendre encore ; de temps à autre, une voile blanche se levait dans l’air, comme on agite un mouchoir en signe d’adieu à ceux qui s’éloignent. Je pensais toujours à Herbert, il fut donc tout simple de penser à lui en regardant la barque ; je me mis à courir à travers la prairie ; je gagnai le bord de l’eau, ma mère : c’était lui ! qui m’espérait, qui m’attendait !…. Nous nous sommes dit de tristes choses sur le chagrin d’être séparés ; je ne pouvais que le voir de loin, sa barque se balançait bien au-dessous de mes pieds. Nous avons beaucoup causé ainsi, perdant quelques-unes de nos paroles par le bruit du vent dans les feuilles ; mais il en restait encore assez pour nous bien assurer de nous aimer pendant toute notre vie. Ce matin, Herbert, découragé d’attendre un changement dans notre situation, a voulu m’emmener ; j’aurais pu fuir, et je suis restée pour vous, ma mère Maintenant vous savez tout, et, si je suis coupable, pardonnez-moi.

Mme Van Amberg avait écouté avec une grande émotion le récit de sa fille. Le front appuyé sur sa main, la tête penchée sur sa poitrine, elle avait caché à Christine tout le mal qu’elle lui faisait ; elle craignait d’arrêter par un mot, par un geste, la confiance qui s’échappait des lèvres de son enfant. Quand tout fut dit, Annunciata resta profondément absorbée dans ses réflexions ; elle sentait qu’il aurait fallu au cœur souffrant de Christine de douces leçons, des conseils affectueux, et elle lui apportait un arrêt sévère qui allait aggraver le mal ; elle se sentait, auprès de son enfant malade, condamnée à ne pas lui donner les secours qui pouvaient peut-être la sauver. Enfin elle arrêta sur sa fille un long regard plein de tristesse, et, répondant à ses pensées plutôt qu’elle ne songeait à celle qui l’écoutait :

— Tu l’aimes donc bien ? dit-elle.

— O ma mère ! s’écria Christine, je l’aime de toute mon ame ! je l’attends, je le vois, puis je me souviens de lui ; voilà toute ma vie ! Il me semble que je ne pourrai jamais faire comprendre combien mon cœur lui appartient. Souvent je rêve de mourir pour lui, non pas pour lui sauver la vie, c’est trop simple, trop facile, mais de mourir inutilement, parce qu’il m’aurait dit : Mourez.

— Tais-toi ! mon enfant, tais-toi ! tu me fais peur ! s’écria Annunciata en posant ses deux mains sur la bouche de sa fille.