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REVUE. — CHRONIQUE.

absolue de les rattacher ensemble par un lien solide. S’il est, au contraire, un fait qui frappe les regards de l’observateur, c’est la similitude des mœurs et des idées, la ressemblance des législations, en un mot la conformité parfaite des principes entre les diverses races musulmanes ou chrétiennes de la Turquie d’Europe. Que les hommes qui gouvernent aujourd’hui la Turquie conservent donc le courage qui les anime : l’œuvre qu’ils ont entreprise n’est point une utopie ; la régénération de l’empire ottoman est possible par l’union fraternelle des chrétiens et des Turcs, et le principe que Reschid-Pacha vient de proclamer est un grand pas de plus accompli vers ce but.


Graf Ludwig Batthyany, ein politischer Maertyrer (Le comte Louis Batthyany, martyr politique), par M. S. Horwath[1]. — Parmi les victimes que les révolutions récentes ont écrasées dans leur cours, le comte Louis Batthyany est l’une des plus dignes d’intérêt. On peut avoir fait des vœux pour le parti contraire, on peut avoir donné de préférence ses sympathies aux populations qui s’appuyaient sur l’Autriche pour s’affranchir de la domination magyare, on n’en doit pas moins une estime profonde et des regrets à des adversaires courageux. L’homme se trouve quelquefois placé dans des circonstances historiques vraiment fatales, où la noblesse des sentimens et la générosité des intentions l’entraînent hors du possible et du vrai. Plus il a de patriotisme, plus il s’écarte des voies de la prudence. Cette situation prend un caractère particulièrement déchirant lorsqu’elle est par hasard liée au sort de tout un peuple.

C’est un des spectacles les plus douloureux qu’offrent les derniers jours de ces nations que l’histoire destine à périr devant des nations plus jeunes. Il y a dans ces protestations du passé contre l’avenir une poésie dont on ne peut méconnaître la tristesse, lors même que l’on a pris systématiquement le parti du droit nouveau. Tel est l’aspect sous lequel doit être envisagée, selon nous, la carrière politique du comte Louis Batthyany. Son biographe, M. Horwath, s’est proposé spécialement de réfuter mot à mot l’arrêt du tribunal exceptionnel qui a condamné ce hardi champion de la cause magyare, et, si haute que soit notre estime pour les talens militaires du feldzeugmestre Haynau, nous sommes bien obligés de reconnaître que cet arrêt n’était point suffisamment motivé pour entraîner un châtiment si terrible.

Louis Batthyany n’a point pris part à la guerre des Magyars contre l’Autriche, et l’on sait que sa carrière politique ne s’étend point au-delà des commencemens de cette guerre. On pourrait diviser l’histoire de ces événemens en deux périodes, une période de lutte constitutionnelle et une période de résistance armée. La puissante individualité de Batthyany a rempli la première, comme celles de Kossuth et de Georgey ont tour à tour occupé la seconde. Batthyany, l’un des plus illustres membres de l’aristocratie magyare, a porté dans les affaires de son pays une pensée distincte de la pensée de Kossuth, homme nouveau, de petite noblesse. Kossuth, comme publiciste, s’était toujours posé en partisan de la démocratie ; il était entré dans la polémique en déclarant qu’il soutiendrait contre la noblesse les intérêts de la bourgeoisie et du paysan. Batthyany, tout en essayant de se placer à la tête de cette portion de la noblesse qui était décidée à faire de grandes concessions, avait conservé ses convictions

  1. Chez Elincksieck, 11, rue de Lille.